Il est des erreurs que l’on qualifie trop vite de « simples fautes administratives ». Les erreurs sur les noms et prénoms à l’état civil en font partie. Pourtant, derrière une lettre oubliée, une syllabe déplacée ou un prénom inversé, se cache souvent un parcours de vie entravé, parfois brisé. L’état civil n’est pas un registre ordinaire : il est le socle de l’existence légale, la première reconnaissance du citoyen par l’État.
Dans nos administrations, trop de citoyens découvrent tardivement que leur identité officielle ne correspond pas à celle transmise par leurs parents, vécue au quotidien et reconnue socialement. Cette discordance devient alors un mur invisible mais infranchissable : refus de pièces d’identité, blocage lors des examens, impossibilité de voyager, complications pour l’emploi ou le mariage. Le citoyen se retrouve prisonnier d’une erreur qu’il n’a pas commise, condamné à se justifier sans cesse face à une machine administrative sourde à sa détresse.
À qui la faute ? Certainement pas au citoyen, souvent analphabète au moment de la déclaration, ou simplement confiant envers l’institution. La responsabilité incombe d’abord à un système qui a trop longtemps relégué l’état civil au rang de service secondaire. Peut-on sérieusement prétendre bâtir un État moderne en confiant la gestion de l’identité nationale à des agents insuffisamment formés, parfois affectés par défaut, sans préparation ni suivi ?
Il faut oser poser la question : est-il normal d’affecter n’importe qui à l’état civil ? Peut-on improviser gardien de la mémoire administrative d’une nation ? Un agent d’état civil ne manipule pas de simples papiers, il engage des destins. Chaque acte signé est une promesse de reconnaissance, chaque erreur une bombe à retardement sociale et juridique.
Au-delà de l’aspect technique, ces dysfonctionnements portent atteinte à la dignité humaine. Le nom est plus qu’un identifiant : il est une histoire, une filiation, une appartenance. Le mal écrire, c’est fragiliser le lien entre l’individu et la République. C’est créer des citoyens juridiquement bancals dans un État qui se veut garant de l’égalité des droits.
Il est temps de rompre avec la banalisation de ces fautes. La professionnalisation de l’état civil, la formation rigoureuse des agents, la responsabilisation administrative et la modernisation des outils ne sont pas des luxes, mais des urgences. Un État sérieux commence par savoir nommer correctement ses citoyens.
Car au fond, une question demeure, simple et redoutable : comment exiger du citoyen qu’il respecte l’État, si l’État lui-même ne respecte pas son nom ?
Samba Guissé

