Je reprends ce propos non pas comme un observateur extérieur, un expert indépendant, mais comme l’avis assumé d’un ancien Directeur des Domaines, formé, il faut le dire sans détour, à la vieille école des procédures.
Celle des parapheurs épais, des circuits longs, des visas successifs et de la sacralisation du « chemin administratif ».
Et précisément pour cette raison, mon adhésion à la thèse de Seydou Bocoum n’en est que plus lucide — et plus grave.
Car quand ceux-là mêmes qui ont pratiqué, dirigé et parfois défendu ce système reconnaissent aujourd’hui ses limites structurelles, ce n’est ni par effet de mode, ni par fascination technologique, mais par expérience.
Oui, je le dis sans détour :
la résistance à la digitalisation intégrée des finances publiques n’est ni accidentelle ni marginale. Elle est systémique, tantôt individuelle, tantôt concertée, souvent silencieuse, toujours rationnelle du point de vue de ceux qui y trouvent leur confort.
La procédure longue n’est pas un simple héritage administratif :
c’est une économie politique.
Plus elle est lourde, plus elle crée des zones grises.
Plus il y a de zones grises, plus il y a d’intermédiations.
Et plus il y a d’intermédiations, plus le pouvoir se diffuse hors du contrôle citoyen.
Je parle ici en connaissance de cause.
J’ai vu comment l’opacité procédurale devient une protection.
J’ai vu comment la lenteur se transforme en levier.
J’ai vu comment le flou, loin d’être une défaillance, devient une méthode.
Le cas de la gestion foncière et domaniale est, à cet égard, exemplaire.
Domaines, cadastre, urbanisme : autant de services où l’absence de systèmes intégrés a longtemps permis :
- la dilution des responsabilités,
- la coexistence de vérités administratives concurrentes,
- et l’impossibilité pour l’État lui-même d’avoir une vision claire de son patrimoine.
La digitalisation intégrée du foncier (comme celle des finances publiques) ne menace pas l’administration :
elle menace les rentes informationnelles.
Elle met fin à l’arbitraire.
Elle expose les décisions.
Elle rend les actes opposables.
C’est pourquoi, mon frère, je valide pleinement l’analyse de Seydou Bocoum :
la digitalisation n’est pas un projet informatique,
c’est un acte politique majeur.
Elle transfère le pouvoir :
- du fonctionnaire vers le système,
- du silence vers la preuve,
- de la procédure vers la responsabilité.
Et tant que cette vérité ne sera pas assumée au sommet de l’État,
le SUPTECH restera un slogan,
les procédures resteront longues,
et les pratiques non orthodoxes continueront à trouver, à tous les niveaux de l’administration
(Impôts, Domaines, Douanes, Trésor), des boulevards parfaitement balisés.
Ce constat, venant d’un homme de la vieille école, n’est pas une autocritique tardive.
C’est une mise en garde fraternelle :
on ne modernise pas l’État avec des outils anciens,
et on ne bâtit pas la transparence sur des procédures conçues pour l’opacité,
mais surtout lorsque les acteurs manquent de conviction.
Allé Badou SINE

