Une société qui tourne le dos à l’excellence signe son propre arrêt de mort. Le constat est sévère, mais implacable : notre pays semble de plus en plus fonctionner sur un système qui récompense la roublardise, le paraître et le clientélisme, au détriment du travail, de l’intégrité et de la compétence. Cette marginalisation du mérite n’est pas une simple injustice ; c’est une faille béante dans les fondations de notre nation.
Comme le disait Sénèque, « La vertu elle-même ne peut avancer si elle n’est point honorée. » Au Sénégal, nous honorons tout sauf la vertu. Nous célébrons le succès rapide, souvent sans nous questionner sur son origine. Nous idolâtrons la richesse, rarement le parcours qui y mène. Dans cette logique perverse, le culte de l’excellence est devenu suspect, tandis que la fainéantise assumée et l’opportunisme érigés en système triomphent.
Les conséquences sont tangibles. Comment expliquer qu’un enseignant, un ingénieur ou un médecin – ces architectes de notre avenir – peinent à joindre les deux bouts, tandis que d’autres accumulent des fortunes obscènes en quelques clics ou par des combats sans lendemain ? Ce paradoxe n’est pas seulement économique ; il est moral. Il envoie à notre jeunesse un message désastreux : l’étude et le travail acharné ne paient plus.
Pire, l’espace public est kidnappé par les faux-semblants. Les « influenceurs », dont le principal mérite est souvent d’exister devant une caméra, ont volé la vedette aux intellectuels, aux experts et aux bâtisseurs de silence. Le débat d’idées est étouffé par le buzz éphémère, la réflexion critique par les frasques scandaleuses. Nous avons remplacé le fond par la forme.
Comme le soulignait le philosophe Baltasar Gracián, « Quand les sots sont à la mode, les gens de bon sens passent pour fous. » Aujourd’hui, nos « sots » sont les rois des réseaux sociaux, les courtisans des puissants, les parasites de la rente. Ils trustent les postes de responsabilité, non pour leur compétence, mais pour leur talent de flatteur ou leur art de se mettre en scène. Les véritables compétences, elles, restent dans l’ombre.
Un vent d’espoir ? L’arrivée au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko a suscité l’espoir d’une rupture. Leur promesse de valoriser la probité et le mérite est le bon remède à la maladie de la médiocrité. Mais gare à l’illusion : pour être crédible, cette rupture doit être concrète. Elle doit éviter de tomber dans le piège de remplacer une clique par une autre, en s’entourant uniquement de militants bruyants mais inexpérimentés. Le Sénégal a besoin de compétences pragmatiques, pas seulement de bons sentiments.
La question fondamentale est : quelle République voulons-nous ?
Celle où des délinquants économiques sont promus à des postes-clés ?
Celle où l’incompétence est récompensée par un titre ministériel ?
Celle qui préfère les imposteurs aux bâtisseurs ?
Il est temps de sonner la révolte des consciences.
De la résignation à l’action : Quel avenir pour la jeunesse sénégalaise ?
Si le constat est amer, la résignation n’est pas une option. L’avenir du Sénégal ne se décidera pas dans les commentaires sur les réseaux sociaux ou dans la complainte passive, mais dans la capacité de sa jeunesse à opérer un choix collectif et fondamental.
Le choix est le suivant : s’accommoder d’un système qui valorise le paraître et la médiocrité, ou œuvrer, par l’action individuelle et collective, à restaurer la primauté du mérite.
Cette bataille ne se gagne pas par l’invective, mais par une rivalisation positive. Face à l’éclat trompeur des imposteurs, la réponse la plus puissante est une offensive de compétence. Chaque jeune qui choisit de privilégier l’étude approfondie sur la distraction facile, qui préfère l’innovation laborieuse à la recherche du gain rapide, qui valorise l’intégrité sur la complaisance, participe à reconstruire le socle de la nation.
Il ne s’agit pas de rejeter en bloc les nouvelles formes de notoriété ou de réussite, mais d’y appliquer un critère exigeant de valeur ajoutée réelle. Quelle expertise, quel talent véritable, quel service à la communauté est offert ? La jeunesse détient le pouvoir de définir de nouveaux modèles de réussite, non plus basés sur la richesse ostentatoire ou la célébrité vide, mais sur la création, l’expertise et l’impact social positif.
L’engagement véritable consiste donc à investir massivement dans son propre capital intellectuel et moral. Le pays a un besoin urgent non pas de suiveurs, mais d’architectes : des esprits formés, critiques et intègres, capables de penser les institutions de demain, de créer de la richesse durable et d’incarner, par l’exemple, une éthique exigeante.
Le patriotisme du XXIe siècle ne se manifeste pas seulement dans les slogans ; il se vit dans la rigueur au travail, dans le respect de la chose publique, dans le choix courageux de la difficulté qui élève plutôt que de la facilité qui avilit.
En somme, l’ascension de la médiocrité n’est une fatalité que si la majorité silencieuse des talents décide de rester en retrait. Le Sénégal de demain sera le reflet des valeurs que la jeunesse aura choisies d’incarner et de défendre aujourd’hui. C’est en visant l’excellence personnelle, sans attendre de validation immédiate, que chacun peut contribuer à un changement de cap. La restauration du mérite est un projet de société qui commence par un engagement individuel.
Par Ciré Aw