REPORTAGE- Fonds Covid, arrestations en série – Le Sénégal s’agite, le peuple prend la parole

REPORTAGE- Fonds Covid, arrestations en série – Le Sénégal s’agite, le peuple prend la parole

Les rues de Dakar ont une atmosphère pesante. Entre les chuchotements des vendeurs ambulants et les clignotements des taxis jaune et noir, une rumeur persistante et indignée se fait entendre. Plusieurs anciens DAGE et des artistes ont été interpellés lundi 14 avril par la Division des investigations criminelles (DIC), en lien avec l’enquête sur la gestion controversée des fonds destinés à la lutte contre la pandémie de Covid-19.

L’annonce, relayée par 2AS Media, a l’effet d’une bombe dans un pays déjà fragilisé par une méfiance croissante envers ses dirigeants. Cette fois-ci, cependant, les Sénégalais sont plus qu’observateurs. Ils sont acteurs. Dans les quartiers populaires, la rue gronde, avec passion, avec colère, parfois avec résignation. Au marché Ngelaw, au cœur de Dakar, entre les étals de fruits et les pagnes colorés, l’indignation est palpable. « Pendant qu’on nous disait de rester à la maison, eux, ils partageaient les milliards entre copains ! » s’insurge Awa, vendeuse de légumes, se remémorant les mois difficiles du confinement. « Nous avons souffert pendant la Covid, on n’a jamais vu un franc d’aide. Aujourd’hui, on apprend que certains auraient dilapidé l’argent ? C’est révoltant », déplore-t-elle. Autour d’elle, plusieurs clientes acquiescent. « Le souvenir des pénuries d’oxygène, des hôpitaux débordés, des aides promises mais jamais arrivées, est encore frais. Certains ménages n’ont rien perçu. Ce n’est pas qu’un scandale financier », lance Awa amadou Diop, d’un ton nasillard.

« Ils doivent s’expliquer »

Sur l’avenue Niarry Tally, les débats prennent une autre tournure. Sur un banc ombragé, Makhou Diagne, chauffeur de taxi, est plus mesuré mais tout aussi critique. « L’arrestation de Mamadou Ngom Niang est une bonne chose. Mais il ne faut pas que ce soit juste un fusible que l’on fait sauter pour calmer la population. Nous voulons que tous ceux qui ont détourné l’argent public rendent des comptes. Y compris ceux qui sont encore en poste. » Il lève les yeux vers son ami Khadim Diaw, qui est plus ferme. « Le problème, c’est que la justice sénégalaise semble souvent choisir ses cibles. Pourquoi maintenant ? Pourquoi lui ? Et pourquoi pas les grands décideurs, ceux qu’on soupçonne depuis longtemps ? Ils doivent s’expliquer », soutient-il.

Des artistes dans la tourmente

L’arrestation de figures culturelles telles que le comédien Moussa Seck, le musicien Baba Hamdy, et surtout le rappeur-activiste Simon Kouka, a aussi ajouté de la confusion à l’affaire. Certains crient à la manipulation. « Simon, c’est un symbole. Il a toujours dénoncé les dérives du pouvoir, ce n’est pas un détourneur d’argent ! » lance Ibrahima Diouf, rencontré sur l’avenue Bourguiba, casquette vissée sur la tête. « S’ils l’arrêtent, c’est peut-être qu’il est coupable. On ne sait jamais », ajoute-t-il après une série de revendications.

Ce n’est pas la première fois que le Sénégal est secoué par des affaires de corruption. Du Plan Jaxaay aux affaires du FESMAN, les scandales politico-financiers ont souvent nourri la méfiance des citoyens. « On nous a trop menti. Depuis Wade jusqu’à Macky, on nous a parlé de bonne gouvernance, de transparence… Mais les pratiques ne changent pas », explique Mamadou, retraité et ancien fonctionnaire, rencontré sur une grande place sur l’avenue Bourguiba. « Le problème, ce n’est pas seulement un homme, c’est un système. », fustige-t-il.

Un ras-le-bol

Chez les jeunes, ce scandale ravive une frustration déjà ancienne. Chômage massif, perspectives bouchées, promesses non tenues… Beaucoup voient dans cette affaire le symbole d’un pays bloqué. « Ce sont des milliards qui sont partis en fumée au détriment de la population. Des gros bonnets se sucrent sur le dos du bas peuple. Vraiment, c’est une déception ! » s’indigne Marie Manga, étudiante. « On nous disait de rester à la maison avec le confinement alors que l’argent décaissé pour aider les différents secteurs transitaient dans des circuits opaques », ajoute-elle.

Malgré la colère, un frémissement d’espoir demeure. Les arrestations sont peut-être, pour certains, le signe que l’impunité n’est plus absolue. « Si on continue à dénoncer, à protester, à surveiller… peut-être que les choses vont bouger. Mais il ne faut pas que ce soit juste un feu de paille », estime Saliou Diallo, enseignant. « Le peuple doit rester vigilant », conclut-il.

« Une diversion pour détourner des vrais problèmes »

Dans les rues du quartier populaire de Bénn Tally, un groupe de jeunes discute bruyamment autour d’un kiosque à café Touba. Au centre de la conversation, les vagues d’arrestations mais aussi les vraies intentions derrière cette opération. « Tout ça, c’est de la diversion, wallaay ! » lâche Ousmane, jeune mécanicien, en sirotant sa tasse de café Touba. « Depuis des mois, les gens se plaignent de la situation économique très difficile. Et là, comme par hasard, ils nous sortent une affaire Covid qui date de 2020. C’est pour nous faire oublier ce qui se passe maintenant ! »

Un avis largement partagé par son ami Bocar, rencontré à Ouagou Niaye. « Les autorités savent comment manipuler l’actualité. À chaque fois qu’ils sont acculés, ils trouvent un scandale, un bouc émissaire. Ils offrent une tête au peuple pour qu’il se calme… mais derrière, les vrais problèmes restent », explique-t-il. Selon lui, c’est « une diversion pour détourner les vrais problèmes ». Le scandale des fonds Covid n’est pas juste une affaire judiciaire. C’est une onde de choc qui touche au cœur même du pacte entre l’État et ses citoyens. Pour de nombreux Sénégalais, c’est le moment ou jamais de réclamer une gouvernance éthique et responsable, au service du bien commun.

El FAYE

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