REPORTAGE: Effondrement à Ngor- Un immeuble s’écroule comme un château de carte

REPORTAGE: Effondrement à Ngor- Un immeuble s’écroule comme un château de carte

Un immeuble de cinq étages s’est partiellement effondré hier matin à Ngor, provoquant stupeur et chaos dans ce quartier habituellement calme. Tandis que les secours s’activent pour retrouver d’éventuelles victimes sous les décombres, les premiers témoignages pointent du doigt des travaux clandestins à proximité. Une enquête a été ouverte pour faire la lumière sur ce drame qui aurait pu être évité.

Il est un peu plus de dix heures du matin, hier, lorsque le quartier paisible de Ngor, à Dakar, est brusquement secoué par un vacarme assourdissant. Au cœur du tumulte, un immeuble de cinq étages, connu dans le voisinage pour abriter une clinique dentaire au rez-de-chaussée, vient de s’effondrer partiellement. Des colonnes de poussière s’élèvent, masquant la façade béante du bâtiment, éventrée comme si une explosion avait soufflé les murs porteurs.

Les habitants accourent, hagards. Sur place, l’atmosphère est irrespirable. Les sirènes des sapeurs-pompiers, les klaxons bloqués sur l’axe menant à l’aéroport, les hurlements de proches affolés… tout se mêle dans un chaos d’angoisse. Des badauds, des voisins, des familles, s’amassent derrière les rubans de sécurité installés à la hâte.

Assis sur le trottoir, les yeux rougis, un homme cri à l’aide. « Deux membres de ma famille sont encore à l’intérieur ! Ils dormaient encore ! », dit-il d’un air triste. Des voisins tentent de le calmer. À quelques mètres de lui, une femme en blouse blanche serre fort un petit sac en tissu, ses gants encore tachés. Elle travaillait sur un magasin en bas lorsque l’effondrement a eu lieu. « Le sol a tremblé sous mes pieds, j’ai vu le plafond se fissurer. J’ai juste eu le temps de courir dehors », murmure-t-elle.

Mamadou Marième Diallo, délégué de quartier, est sur les lieux. Il tente de coordonner les informations qui arrivent par bribes. Selon ses premières déclarations, deux personnes seraient toujours coincées sous les gravats. « Une partie de la façade s’est affaissée vers l’arrière, là où se trouve la cage d’escalier. Cela rend les recherches très difficiles. Une victime a déjà été retrouvée vivante et transférée à l’hôpital, mais le risque d’effondrement total est encore là », explique-t-il d’une voix grave.

Une enquête ouverte, les soupçons tournés vers un forage voisin

Les causes exactes de l’effondrement demeurent inconnues, mais très vite, les soupçons se cristallisent autour d’un chantier mitoyen. Un forage y aurait été récemment entamé, selon plusieurs témoins. M. Diallo confie avoir personnellement alerté le chef de chantier quelques minutes avant le drame, après avoir constaté une inclinaison anormale de l’immeuble. « Il y avait déjà des signes. Le bâtiment penchait légèrement, et des fissures étaient apparues. J’ai dit qu’il faut arrêter le forage, c’est dangereux ! Mais personne n’a réagi à temps », déplore-t-il.

Des témoignages concordants font état de travaux nocturnes, non déclarés, menés depuis plusieurs semaines. Une vendeuse de fruit et de légume interrogée indique que le propriétaire du terrain n’a avisé personne.  La dame en question occupait les alentours du terrain vague mitoyenne à l’immeuble qui s’est effondré. « C’est un certain M. Lô. Il ne respecte personne. Il ne nous a même pas avisé. Nous sommes ici depuis 25 ans. Un bon jour, il est venu avec des tractopelles et des camions pour creuser le terrain », raconte-t-elle.

Les gendarmes, présents en nombre, ont bouclé le périmètre. Une équipe d’experts en génie civil a été dépêchée pour évaluer la stabilité de l’immeuble restant. Pendant ce temps, les secours continuent leur course contre la montre. Des équipes de sapeurs-pompiers, casques vissés sur la tête, fouillent les décombres à la main, en l’absence de machines adaptées à de si étroits espaces. Chaque minute compte.

Un drame évitable ?

Au fil des heures, l’émotion laisse place à la colère. Dans les discussions en marge du site, les mots « impunité », « laxisme » et « constructions anarchiques » reviennent comme un refrain connu. « Combien d’effondrements faudra-t-il encore pour qu’on contrôle sérieusement les constructions à Dakar ? », s’insurge un riverain dans Wolof Lébu, filmant la scène avec son téléphone.

Le cas de l’immeuble de Ngor n’est pas isolé. Ces dernières années, les effondrements partiels ou totaux de bâtiments se sont multipliés dans la capitale sénégalaise, souvent à cause de fondations mal exécutées ou de permis de construire obtenus de façon douteuse. La dernière en date dans le quartier populaire de « Xar Yalla » en janvier 2024 avait fait plusieurs victimes.  Pour les familles impactées, il est trop tôt pour tirer des conclusions. Leur seule préoccupation : retrouver les disparus. Des visages tristes et désemparés scrutent le ballet des secouristes. Pour certains, ils ont perdu tous leurs biens mobiliers. En attendant, le quartier de Ngor retient son souffle. Le béton fissuré, les poussières en suspens, les larmes silencieuses : autant de stigmates d’un drame qui, ce matin encore, semblait impensable.

El FAYE

administrator

Related Articles

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *