Recrudescence de la tricherie en milieu scolaire: Le cri d’alarme du Dr Ismaïla Mbodj, docteur en sciences de l’éducation

Recrudescence de la tricherie en milieu scolaire: Le cri d’alarme du Dr Ismaïla Mbodj, docteur en sciences de l’éducation

La tricherie dans le système éducatif sénégalais n’a rien de nouveau. Mais pour le Dr Ismaïla Mbodj, docteur en sciences de l’éducation et formateur à la FASTEF, elle a pris, ces dernières années, des proportions alarmantes. Dans une intervention sans détour, il tire la sonnette d’alarme sur un phénomène devenu structurel, qui interpelle à la fois les autorités, les éducateurs, les familles et les élèves eux-mêmes.

Selon le Dr Mbodj, la tricherie a toujours existé, qu’elle soit de faible ou de grande ampleur. Toutefois, elle a changé de nature avec l’irruption des nouvelles technologies. Désormais, les téléphones portables et l’intelligence artificielle sont des outils facilement accessibles, que certains élèves n’hésitent pas à détourner à des fins de fraude scolaire. « Le développement technologique s’est socialisé, et les élèves l’ont intégré dans leur quotidien, y compris pour tricher », constate-t-il.

Une pratique ancienne

Mais au-delà de ces outils, c’est surtout le profil des élèves tricheurs et le contexte de l’école sénégalaise qui posent problème. « Ce sont souvent des élèves en grande difficulté, qui doutent d’eux-mêmes, qui ont cumulé d’importantes lacunes tout au long de leur parcours. » Des élèves qui, faute d’avoir acquis les compétences fondamentales, se retrouvent en classe de terminale sans avoir le niveau requis. « Certains ont le niveau de la quatrième, et pourtant, ils se présentent au baccalauréat », révèle-t-il.

Une école en crise

Le docteur Mbodj lie directement cette situation à la profonde instabilité du système éducatif sénégalais, particulièrement depuis une décennie. « Depuis la Covid-19, les années scolaires sont irrégulières. L’école est instable, et les élèves passent d’une classe à une autre sans véritable évaluation de niveau. » Il évoque un manque cruel d’accompagnement, de soutien pédagogique et de ressources dans les établissements. « Ce sont des conditions exécrables. Des élèves à 100 par classe, des tables-bancs brisés, des enseignants dépassés… Une situation qui se retrouve dans les écoles qualifiées d’excellence », déplore-t-il.

L’école, dit-il, est tout simplement abandonnée à elle-même. L’absence de psychologues conseillers, de services sociaux de proximité, d’un projet éducatif clair, tout comme la persistance des abris provisoires jusqu’en 2029, témoignent d’un système à bout de souffle. Même les enseignants, souligne-t-il, ne sont pas suffisamment formés pour faire face à cette réalité. « Ils ne sont pas préparés pour accompagner ces élèves en détresse, ni outillés pour répondre à leurs besoins spécifiques » avance le formateur.

Des responsabilités partagées

Dr Mbodj insiste sur la distinction entre la tricherie et les fuites d’épreuves. À ses yeux, l’Office du bac a fait des efforts notables pour sécuriser les examens. « Les fuites ne viennent plus de l’Office, qui a mis en place une logistique efficace. Elles proviennent maintenant des inspections d’académie, qui n’ont ni les moyens ni l’organisation nécessaire pour assurer la même rigueur » fait-il savoir.La tricherie, en revanche, reste largement répandue. Et selon lui, elle est souvent facilitée par le relâchement des surveillants, dont beaucoup viennent de l’élémentaire et ne se sentent pas concernés par les enjeux du bac. « La conscience professionnelle fait défaut. Et ceux qui sont chargés de surveiller les épreuves n’ont parfois pas la formation ou l’engagement requis », fustige- t- il.

Un système éducatif à reconstruire

ace à cette réalité, Dr Mbodj plaide pour un changement de cap. Il estime que la stratégie du ministère de l’Éducation, basée sur la dénonciation et l’intimidation, est contre-productive. « Les élèves ont besoin d’accompagnement, de sensibilisation, pas de menaces. » Il appelle à un véritable investissement dans le développement de services d’appui pédagogique, psychologique et social dans les établissements scolaires.Il interpelle également sur la formation des enseignants, aujourd’hui inadéquate. « Nous savons tous que la formation actuelle de certains enseignants est lacunaire », confie-t-il, soulignant la nécessité d’une réforme profonde et urgente.

Il conclut sur une note d’inquiétude, mais aussi d’espoir. « Le bac a connu des avancées grâce au travail de l’Office. Ça fait 27 ans que je pars au baccalauréat. Mais tant que les autres maillons de la chaîne éducative resteront faibles, tant qu’on laissera des générations d’élèves livrés à eux-mêmes dans des conditions aussi déplorables, la tricherie persistera », souligne-t-il. C’est un véritable cri du cœur que lance le Dr Ismaïla Mbodj. Derrière les chiffres du bac, les classements et les discours institutionnels, il rappelle une vérité simple et poignant. A l’en croire, l ‘école sénégalaise ne pourra se relever que si les problèmes structurels sont résolus.

El Hadji Ibrahima FAYE

administrator

Related Articles

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *