Motsepe a-t-il trahi l’Afrique ?(Cheikh Gora Diop, journaliste Le Soleil)

Motsepe a-t-il trahi l’Afrique ?(Cheikh Gora Diop, journaliste Le Soleil)

Il y a des décisions qui, en apparence, semblent n’être qu’un ajustement de calendrier. Et puis il y a celles qui sonnent comme une défaite silencieuse, une reddition diplomatique, une abdication de souveraineté. Le passage de la Coupe d’Afrique des Nations à un rythme quadriennal dès 2028 appartient à cette seconde catégorie.

Sous les ors d’un hôtel de Rabat, Patrice Motsepe, président de la Confédération africaine de football (Caf), a annoncé ce que Gianni Infantino souhaitait depuis des années : une CAN tous les quatre ans. L’Afrique du football a ainsi tourné une page sans même l’avoir lue.

Pendant près de trois décennies, l’ancien président de la Caf, feu Issa Hayatou, avait fait de la Can un totem, un symbole d’indépendance. Il savait que le continent n’a pas les mêmes ressources ni les mêmes vitrines que l’Europe ou l’Amérique du Sud. Tous les deux ans, la Can offrait aux fédérations un bol d’oxygène financier, aux joueurs, une scène pour briller, et aux peuples une communion rare.

C’était aussi une stratégie de développement : chaque édition forçait le pays organisateur à construire, rénover, investir. La Can, dans sa fréquence, était un moteur économique et symbolique.

Sous Hayatou, les pressions pour espacer la compétition n’avaient jamais manqué. Mais le Camerounais avait tenu tête. Son raisonnement était simple : le football africain ne peut pas vivre au rythme des autres, car il ne vit pas dans les mêmes conditions.

Ce refus, au fond, était un acte politique. Défendre une Can tous les deux ans, c’était défendre un football africain autonome, sans complexe, conscient de ses fragilités, mais fier de ses spécificités.

Avec Patrice Motsepe, le discours a changé. L’Afrique s’est mise à parler le langage du marketing global. Le président sud-africain, homme d’affaires prospère et proche de Gianni Infantino, plaide pour une « valorisation » du produit Can : plus rare, donc plus rentable.

En théorie, un événement quadriennal rapporterait davantage en droits télévisés, attirerait plus de sponsors et éviterait les querelles avec les clubs européens réticents à libérer leurs joueurs tous les deux ans. Mais la vérité est ailleurs.

Ce calendrier « réformé » sonne comme une harmonisation imposée par la Fifa. Le rêve d’un modèle africain de gouvernance s’efface derrière les intérêts du football globalisé. L’Afrique, une fois de plus, s’aligne non pas par stratégie, mais par soumission.

Les grands perdants de cette réforme sont d’abord les fédérations, dont les budgets dépendaient largement des retombées de la Can. Espacer la compétition, c’est assécher la principale source de financement des projets locaux.

Ensuite, les joueurs africains, surtout ceux évoluant sur le continent, verront s’éloigner une rare occasion de visibilité internationale.

Enfin, les supporters, ces millions d’Africains qui vibraient tous les deux ans au rythme des stades et des drapeaux, et pour qui la Can n’était pas qu’un tournoi, mais une respiration collective.

On évoque déjà une Ligue des Nations africaine pour combler le vide. L’idée est séduisante sur le papier, mais ressemble plus à un pansement qu’à un vrai projet. Une compétition annuelle aux allures de sous-produit européen : moins d’âme, moins de prestige, plus de calcul.

Quid du Championnat d’Afrique des nations (Chan), qui risque d’être supprimé avec ces réformes.

Les partisans de la réforme invoquent la saturation du calendrier, la nécessité de laisser souffler les joueurs, la volonté de mieux planifier les infrastructures. Ils promettent une Can « plus belle, plus riche, plus moderne ».

Mais à force de vouloir être modernes, ne risquons-nous pas d’être moins africains ? À force de copier les modèles d’ailleurs, ne perdons-nous pas ce qui faisait notre singularité : un football populaire, festif, ancré dans les réalités de nos pays ?

Patrice Motsepe se veut le visage d’un continent moderne, tourné vers le business et la gouvernance globale. Mais à force de tendre la main à la Fifa, il risque de tourner le dos à l’histoire.

Ce que Hayatou refusait, au nom de la dignité du football africain, Motsepe l’a signé au nom de la rentabilité. Peut-être croit-il bien faire. Peut-être pense-t-il sincèrement que ce changement fera grandir la Can.

Mais pour l’heure, l’impression dominante est que l’Afrique a troqué une partie de son âme contre une promesse de dividendes.

administrator

Related Articles

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *