L’Université Cheikh Anta Diop en état de siège:  Sonko–Diomaye au pied du mur

L’Université Cheikh Anta Diop en état de siège:  Sonko–Diomaye au pied du mur

L’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) traverse depuis plusieurs jours une zone de turbulences qui met à rude épreuve la gestion gouvernementale de la première alternance incarnée par le duo Bassirou Diomaye Faye – Ousmane Sonko. Retards de paiement des bourses, violences répétées sur le campus, intervention controversée des forces de l’ordre et paralysie imminente des services administratifs : autant d’éléments qui composent une crise explosive où s’entrecroisent revendications estudiantines, tensions institutionnelles et accusations politiques.

Depuis le début de la semaine, l’UCAD est le théâtre d’affrontements sévères entre étudiants et forces de défense et de sécurité. À l’origine, un problème récurrent mais cette fois amplifié : le retard dans le paiement des bourses universitaires, notamment celles des étudiants inscrits en Master, qui cumulent des arriérés importants. Dans un contexte socioéconomique difficile, ces bourses représentent pour beaucoup la principale source de subsistance et un élément indispensable à la poursuite de leurs études.

Une escalade de tensions sur fond d’arriérés de bourses

La colère gronde à tel point qu’une vidéo devenue virale montre un groupe d’étudiants s’adressant directement au Premier ministre Ousmane Sonko  . « Nous nous sommes mobilisés pour le projet Pastef. Nous te demandons d’agir avant qu’il ne soit trop tard, ou qu’il y ait des morts. Sous Macky Sall, nous ne nous sommes jamais battus pour nos bourses », lancent-ils, traduisant une déception ouverte envers un pouvoir qu’ils ont majoritairement soutenu.

Les heurts ont fait monter la tension d’un cran. Mardi, 16 étudiants ont été blessés, dont six grièvement. Un leader étudiant a été victime d’une fracture du bras. Quatre policiers ont également été touchés. Les gaz lacrymogènes envahissent le campus, jusque dans les salles et certaines chambres, comme le rapportent de nombreux étudiants. Difficultés respiratoires, irritations sévères, évacuations par la Croix-Rouge : le quotidien du campus est devenu étouffant. Mercredi matin encore, avant même le début des cours, des tirs de gaz étaient entendus autour du campus social, tandis que les forces de l’ordre renforçaient leur présence devant le fameux « couloir de la mort » et la grande porte, partiellement bloquée. Malgré une médiation religieuse qui avait permis une trêve temporaire, la reprise des affrontements montre que le malaise est profond et loin d’être résolu.

Le Conseil académique autorise la police

Face à la dégradation rapide de la situation, le Conseil académique de l’UCAD s’est réuni en urgence en visioconférence, mardi 2 décembre, sous la présidence du Recteur Pr Alioune Badara Kandji. Au terme de la réunion, une décision majeure a été adoptée : autoriser officiellement le Recteur à requérir l’intervention des forces de l’ordre dans l’espace universitaire.

L’instance s’appuie sur les articles 4, 5 et 6 de la loi n°94-79, qui encadrent strictement toute intervention extérieure dans les universités publiques. Elle motive sa décision par trois impératifs majeurs : d’abord, la protection de l’intégrité physique des étudiants, des enseignants, des chercheurs et des personnels techniques et de service (PATS) ; ensuite, la préservation des biens publics et privés, régulièrement exposés à des dégradations lors des épisodes de violence ; enfin, la garantie de la continuité des activités pédagogiques et scientifiques, fortement perturbées depuis plusieurs jours.

Le Conseil académique insiste sur son attachement aux libertés universitaires, au respect du droit et au dialogue. Mais pour les étudiants, cette mesure constitue une violation des franchises universitaires, un espace historiquement sensible où l’entrée de la police reste un symbole fort.

Ce qui complique la situation, c’est que la police n’avait toujours pas reçu mardi soir la réquisition officielle, alors même que les affrontements se poursuivaient à l’intérieur du campus. Dans ce flou administratif, des consignes ont été rappelées aux agents : interdiction absolue de porter des armes à feu à l’intérieur de l’UCAD, même pour les commissaires, tandis que les étudiants utiliseraient des « lance-pierres électroniques », selon des éléments de la hiérarchie policière.

La tension est également visible du côté des personnels : l’intersyndicale des PATS a lancé un ultimatum. Si dans 24 heures la situation n’est pas stabilisée, elle demandera aux travailleurs de rester chez eux. En attendant, chacun est invité à « évaluer sa propre sécurité » et à quitter les lieux si nécessaire. Selon le syndicat, plusieurs travailleurs ont déjà été victimes de violences physiques et morales sur le campus pédagogique. L’administration universitaire, déjà fortement perturbée ces derniers jours, risque ainsi la paralysie totale.

Un premier test majeur pour le gouvernement

La crise de l’UCAD dépasse aujourd’hui le cadre strictement universitaire. Elle s’installe dans le champ politique, où les oppositions saisissent l’occasion pour interpeller le gouvernement Diomaye–Sonko sur sa gestion. Dans un communiqué publié mardi, le Front pour la Défense de la Démocratie et de la République (FDR) attribue la situation à ce qu’il qualifie de « catastrophe financière née de la fable irresponsable de la dette cachée ». Le mouvement estime que le gouvernement Pastef est « incapable d’apporter une réponse à la hauteur » de la colère estudiantine et exige des négociations sérieuses et immédiates avec les organisations d’étudiants. Le FDR apporte son soutien aux revendications des étudiants, tout en leur demandant d’éviter la violence. Il dénonce « la répression policière » et met en garde contre « des méthodes qui aggravent la crise ». Le message est clair : la gestion de ce dossier engage désormais la responsabilité politique du Premier ministre.

L’administration Sonko-Diomaye est ainsi confrontée à son premier défi universitaire d’envergure, un secteur traditionnellement délicat au Sénégal où chaque gouvernement a été, à un moment ou à un autre, confronté à la contestation étudiante. Cependant, la spécificité de cette crise réside dans le lien privilégié entre Ousmane Sonko et une portion significative de la jeunesse étudiante, qui l’a massivement soutenu durant son engagement politique. Une rupture prolongée entre ces jeunes et la nouvelle administration constituerait un indicateur politique aux répercussions importantes. Pour l’heure, les chefs spirituels, les représentants de la société civile, les universitaires et les partenaires appellent tous à l’apaisement. Le message central est identique de la part des dirigeants académiques c’est-à-dire  la reprise des discussions. Néanmoins, tant que les allocations ne seront pas versées, que le climat ne sera pas détendu et que la problématique du déploiement policier ne sera pas résolue, la conjoncture demeurera incertaine.

Un gouvernement sous pression

L’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) connaît actuellement l’une des périodes les plus difficiles de ces dernières années. On dénombre plusieurs dizaines de blessés, les activités pédagogiques sont à l’arrêt, le personnel envisage de se retirer, et les étudiants expriment leur vive déception face au non-respect de leurs attentes. Pour le gouvernement de Diomaye et Sonko, qui avait placé la rupture démocratique et sociale au cœur de son programme, il est désormais essentiel de prouver sa capacité à résoudre cette crise majeure.

ElFAYE

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