L’Association des Historiens du Sénégal (AHS) a marqué la célébration de la Journée de l’Afrique, samedi dernier, à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Dans une salle de conférence pleine à l’UCAD 2, le professeur Abdoulaye Bathily, historien émérite et homme politique de renom, a animé une conférence magistrale sur le thème : « Dynamiques géopolitiques mondiales et perspectives africaines ». L’événement, modéré par le professeur Mamadou Badji, historien du droit et ancien recteur de l’Université Assane Seck de Ziguinchor, a été l’occasion d’une plongée dense et critique dans l’histoire mondiale et les enjeux actuels auxquels l’Afrique est confrontée.
D’entrée, le professeur Bathily a rappelé que bien avant l’éveil de l’Europe, certaines régions du continent africain figuraient parmi les plus avancées du monde. Des empires tels que le Ghana, le Mali ou le Songhaï faisaient alors preuve d’une organisation politique, économique et culturelle remarquable. Cette réalité, longtemps occultée, contredit l’idée reçue d’une Afrique éternellement en retard.
Cependant, tout bascule à partir du 15e siècle, avec les révolutions techniques en Europe, notamment les progrès en navigation maritime impulsés par les bourgeoisies italiennes et soutenus par les monarchies ibériques. L’invention du gouvernail d’étambot, comparée par Bathily à une révolution technologique équivalente à celle du numérique aujourd’hui, a modifié les rapports de force entre les continents.
Le point tournant, souligne-t-il, fut le traité de Tordesillas (1494), par lequel l’Espagne et le Portugal décidèrent, avec l’assentiment du pape, de se partager le monde. Ce traité inaugura une ère de domination occidentale fondée sur la maîtrise des mers, qui allait aboutir au colonialisme.
Résistances africaines, mouvement panafricain et défis contemporains
Abdoulaye Bathily a également tenu à rappeler que la conquête coloniale ne fut pas un long fleuve tranquille. De nombreuses résistances, locales et souvent héroïques, se sont opposées à l’invasion européenne. Cependant, malgré ces luttes, les puissances coloniales parvinrent à imposer leur domination. Des historiens occidentaux, à l’instar de Robinson et Gallagher dans Africa and the Victorians, ont tenté d’atténuer la responsabilité des puissances coloniales, avançant que certaines, comme l’Angleterre, n’auraient pas été initialement intéressées par la conquête de l’Afrique. Une lecture que Bathily juge fallacieuse.
Il évoque ensuite le réveil des peuples colonisés à travers le mouvement panafricain, nourri de solidarité entre nations africaines et asiatiques, notamment lors de la conférence historique de Bandung en 1955. Ce moment charnière a marqué une convergence entre luttes africaines et asiatiques contre l’impérialisme, ouvrant la voie aux indépendances et à une nouvelle vision des relations internationales fondée sur la souveraineté et l’égalité.
Dans la dernière partie de son intervention, le professeur Bathily a lancé un appel à l’introspection et à la lucidité. Selon lui, il est temps pour les Africains de passer des slogans à des analyses sérieuses, dépassionnées, des défis auxquels le continent est confronté. Il ne s’agit plus de se contenter de discours, mais de bâtir une véritable volonté politique, portée par chaque pays et consolidée par une solidarité régionale. “L’Asie nous a dépassés, l’Amérique du Sud également. Pourquoi ? Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?”, s’interroge-t-il. Il plaide pour une démocratie fondée non pas sur les mots, mais sur des actes concrets, une gouvernance efficace, et une pensée stratégique adaptée aux enjeux du monde contemporain.
La conférence d’Abdoulaye Bathily, à la fois érudite et engagée, a suscité de vifs échanges avec le public, principalement composé d’étudiants, d’enseignants et de chercheurs. Elle a rappelé avec force l’urgence pour l’Afrique de retrouver sa voix, son histoire et son avenir, en s’ancrant dans la lucidité historique et l’engagement collectif.
El faye