Investissement stratégique dans le capital humain du Sénégal : réformer les bourses et aides aux étudiants

Investissement stratégique dans le capital humain du Sénégal : réformer les bourses et aides aux étudiants

L’une des plus grandes richesses d’une nation réside dans l’énergie de sa jeunesse : vibrante, studieuse et porteuse d’une saine contestation. Comme partout ailleurs, le destin du Sénégal s’y dessine, gravé dans la volonté de nos jeunes de se sublimer et d’atteindre le savoir.

Avec un taux de pauvreté monétaire évalué à 37,5%, dont un taux de 53,3% en milieu rural, il apparaît que de manière générale, l’étudiant sénégalais aux portes de l’enseignement supérieur a besoin, à juste raison, de ressources financières pour transformer ses aspirations en réalités concrètes : étudier, se réaliser et servir son pays. Il s’agit de la bourse étudiante que je considère comme une subvention d’investissement transcendant une simple ligne budgétaire. Elle est le symbole éclatant d’un engagement national profond pour encourager l’étudiant à poursuivre des études. Bien pensé, c’est un contrat de confiance et d’espérance pour financer l’ambition légitime de nos étudiants, leur permettant de franchir les écueils des études universitaires et d’obtenir leurs parchemins.

Malgré la foultitude de priorités concurrentielles, le choix stratégique de financer l’éducation n’est pas une option, mais une obligation si l’on veut réellement un Sénégal souverain. Comme l’a si justement articulé Abraham Lincoln : « Si vous pensez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance. »

Cet adage intemporel est un puissant rappel : l’investissement dans le savoir est le plus rentable des paris, un accélérateur de croissance et le moteur le plus fiable de l’ascenseur social de la jeune génération, en mesure de discuter d’égal à égal avec celle des pays à haut revenu avec tout leur arsenal économique, financier, industriel et technologique.

Notre développement repose sur cette clé de voûte, mais son succès exige une responsabilité rigoureusement partagée :

  1. L’État : Garant du soutien multiforme et de l’orientation stratégique de cette subvention d’investissement équitable et soutenable.
  2. L’Étudiant et sa Famille : Redevables de l’effort intellectuel soutenu et, lorsque la situation le permet, d’une contribution financière.

Il s’agit surtout de former des générations de diplômés conscients de leur dette civique et reconnaissants de l’effort consenti par le peuple sénégalais, gardien vigilant du contrat de confiance et d’espérance et exigeant sur l’emploi des fonds.

Soyons clairs : le droit à l’aide est un impératif d’équité, mais la bourse universelle ne saurait être considérée comme un droit fondamental absolu ou une rémunération.

L’État a l’obligation de créer des conditions d’études satisfaisantes, mais il doit également encourager l’appropriation pleine et entière de la formation académique ou professionnelle par l’étudiant lui-même.

Les grèves des étudiants en ce début d’année universitaire sont évitables pour une année universitaire et scolaire apaisée. L’État a l’obligation de respecter ses engagements de payer les sommes dues comme il le ferait pour n’importe quel travailleur ou prestataire de service. Les modifications de la période des inscriptions du fait de la pandémie du COVID-19 et des périodes de troubles sociopolitiques entre février 2021 et mars 2024 ont complètement bouleversé les périodes de validité des inscriptions aux cours et, conséquemment, celles relatives aux bourses allouées aux étudiants.

Lorsque l’étudiant et sa famille participent, ne serait-ce que symboliquement, à l’effort financier et intellectuel, la valeur perçue de la formation augmente, favorisant l’excellence, l’assiduité et, in fine, réduisant la mauvaise gestion des fonds, avec par exemple le paiement de bourse à des étudiants qui touchent la bourse sans poursuivre le cursus pour lequel la bourse leur était accordée.

L’État, en tant que garant de l’intérêt général, doit définir légitimement les critères d’attribution en fonction de ses ressources et des priorités nationales urgentes.

Le budget du ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) en est la preuve chiffrée. Dans le cadre de la loi des finances 2026, sur un budget total d’environ 316 milliards de FCFA, près de 98 milliards de FCFA (soit près d’un tiers) sont alloués aux bourses, sans compter les œuvres sociales. Ce montant de 98 milliards semble colossal lorsque l’on considère les 8 milliards anachroniques (ou dérisoires) consacrés à la recherche et à l’innovation.

Nous pouvons noter la disparité alarmante entre l’effort consenti pour un étudiant du Supérieur et celui pour un élève du Primaire ou du Secondaire :

En effet, les 98 milliards de FCFA alloués aux bourses sont destinés à environ 293 895 étudiants (estimation pour 2026, incluant le taux d’accroissement) alors que le budget total du ministère de l’Éducation Nationale pour 2026 est de 990 milliards de FCFA pour 4 206 105 élèves (moyen général, primaire, secondaire, source Conseil Ministériel d’octobre 2025). L’estimation globale montre qu’un étudiant du supérieur coûte environ 1 200 000 FCFA/an à la nation, incluant toutes les charges, alors qu’un élève de l’Éducation Nationale coûte environ  235 000 FCFA/an (basé sur le budget total de l’Éducation Nationale pour plus de 4,2 millions d’élèves).

L’étudiant du supérieur coûte ainsi plus de cinq fois plus cher à l’État que l’élève du primaire ou du secondaire.

De plus, il est crucial de rappeler qu’il n’existe aucune bourse directe pour la grande majorité des écoliers et collégiens du Sénégal, à l’exception notable des quelques élèves des lycées d’excellence (Mariama Ba, Prytanée de Saint-Louis et le lycée de Diourbel).

C’est un contraste qu’il conviendrait de corriger, surtout lorsque l’éducation de base manque cruellement de financements pour des besoins vitaux, avec des classes pléthoriques, des abris provisoires ou le fait que 31% des écoles du milieu rural n’ont pas accès à l’eau.  

Il convient de réinvestir à la base pour garantir que le futur étudiant qui arrive au supérieur soit déjà doté des fondamentaux de l’excellence.

L’expérience passée de généralisation des bourses fut un précédent coûteux que les gouvernements successifs tentent de gérer avec des retards dans le paiement.

Le Ministre M. Daouda Ngom a évoqué la digitalisation des bourses, qui n’est pas le seul défi : il y a la planification dans la mise en place des fonds et le paiement des bourses à date échue, nonobstant les chevauchements des années scolaires qu’il convient de stabiliser une bonne fois pour toutes et de sortir de ces grèves estudiantines cycliques avec les mêmes revendications.

En outre, rares sont les nations qui se permettent de supporter intégralement ces charges pour tous les étudiants, sans des critères stricts de mérite ou de nécessité sociale. Il nous semble que le système actuel continue de subventionner l’inertie. Assurément, la révision des critères d’attribution de bourses et aides est nécessaire pour tenir compte de :

  • la performance académique requise, sans que la bourse soit considérée comme une rémunération.
  • les filières d’études offrant des perspectives claires d’insertion professionnelle avec une forte valeur ajoutée dans l’agenda de transformation de notre pays.
  • le ciblage des étudiants, notamment les filles issues des milieux défavorisés pour leur vulnérabilité.

Nous devons impérativement migrer d’un modèle de subvention généralisée vers un modèle d’investissement ciblé sur le capital humain stratégique.

Ainsi, l’investissement public pour les études doit opérer un recentrage stratégique pour que chaque franc CFA investi démultiplie l’impact sur le développement national.

Nous proposons la revue ainsi que la pondération de ces trois principaux piliers fondamentaux largement utilisés pour l’allocation des bourses d’études des étudiants :

  1. L’excellence académique (le mérite) : Récompenser, honorer et soutenir ceux qui démontrent la plus grande performance et le plus grand engagement. L’excellence doit devenir la norme, pas l’exception.
  2. L’équité sociale : La bourse doit être le bouclier protecteur des plus vulnérables. Il s’agit de garantir que l’origine sociale ne constitue jamais un plafond de verre pour le talent.
  3. Les filières d’avenir stratégiques, besoins prioritaires du Sénégal : L’État doit investir massivement là où se trouvent les leviers de notre souveraineté et de notre croissance future, à savoir par exemple les sciences et techniques, la médecine et la santé publique, l’agriculture et sa transformation, le numérique et l’intelligence artificielle (IA).

Le choix de la pondération doit faire l’objet d’une discussion avec les principaux intéressés, les étudiants et la société civile, pour garantir plus de transparence et d’équidistance par rapport aux vœux très forts et ambitions des uns et des autres.

Pour ma part, je voudrais surtout insister sur une réforme de la bourse qui est, au demeurant, inséparable d’autres priorités vitales qui mobilisent la même enveloppe budgétaire et attendent des financements urgents, notamment autour du troisième pilier fondamental :

  1. la santé : améliorer l’accès aux soins pour tous et renforcer des services publics souvent défaillants.
  2. l’agriculture : soutenir concrètement les producteurs, victimes du changement climatique, de la faiblesse des prix aux producteurs qui ne couvrent pas leurs efforts.
  3. l’éducation de Base : éradiquer les 7227 abris provisoires du Sénégal , réhabiliter les lieux d’apprentissage, recruter en nombre suffisant des enseignants pour combler le déficit et leur offrir des salaires décents et leur rendre leur dignité.
  4. la souveraineté numérique : développer les infrastructures et les compétences en numérique et en IA pour faire du Sénégal un leader régional avec le hub que le gouvernement veut créer à cet effet.

Un défi majeur se pose avec les étudiants finissants qui quittent définitivement le pays pour monnayer leurs compétences ailleurs, ce qui veut dire que nous travaillons pour des pays à fort potentiel économique en mesure d’absorber sans frais nos compétences nationales. Ce qui voudrait dire que nous subventionnons ces pays qui privilégient l’immigration choisie.

Il est temps de dépasser le débat politicien simpliste, laissant suggérer des comparaisons avec des pays comme le Canada ou ailleurs, où les étudiants paient leurs études ou bien bénéficient de prêts bancaires à des taux très avantageux et au bout duquel l’étudiant paiera de toutes les manières.

Notre développement exige des choix stratégiques courageux, assumés et acceptés par toutes les forces vives de la nation.

L’enjeu n’est pas de discuter sur un droit à l’aide qui est un impératif avec notre niveau de développement , mais de prendre, dans le cadre d’un dialogue inclusif et honnête, la meilleure décision pour garantir le maximum d’impact sur le développement du pays sans obérer nos ressources.

Nous en appelons à tous les acteurs politiques : la transparence sur les chiffres des bourses, et leur stabilisation sur la base d’une feuille de route nous semblent nécessaires pour plus de redevabilité envers le contribuable. Ces choix sont politiques, et ils doivent être assumés.

Il nous revient à tous de faire le plaidoyer pour une réforme juste et mesurée des critères d’attribution. Les sommes dégagées par cette rationalisation ne doivent pas servir à boucher des trous, mais à être réinvesties dans la recherche et l’amélioration urgente des infrastructures universitaire et de l’Éducation de Base.

C’est seulement par cet alignement stratégique, la redevabilité et la transparence que nous pourrons réellement « bouger les lignes » et bâtir un Sénégal, pays à faible revenu, où l’ambition de chaque étudiant talentueux, qui se donne les moyens de réussir, devient l’atout stratégique de toute la nation.

9 décembre 2025

Moustapha Niang,

Ingénieur polytechnicien

Fonctionnaire de l’UNICEF à la retraite

mniang20@gmail.com 

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