L’armée israélienne a lancé une attaque « surprise » contre la République islamique d’Iran le 13 juin. Même les spécialistes les plus pointus de la région n’ont rien vu venir. Un nouvel épisode d’instabilité s’ouvre dans une région qui n’a pas encore fini de panser les plaies de l’invasion américaine en 2003. Que faut-il comprendre de l’affrontement israélo-iranien ? Quels sont les enjeux ?
Le programme nucléaire iranien a longtemps été une obsession des Américains et des Israéliens. Et c’est pourtant le président Carter qui a lancé le programme nucléaire iranien dans le cadre du projet « Atom for Peace ». L’Iran, sous le joug du Shah, était un pivot stratégique des États-Unis dans la région. En 1979, tout bascule. Khomeini renverse la dynastie Pahlavi. La République islamique d’Iran est proclamée. L’Irak envahit l’Iran sous le feu vert de Washington. La guerre Iran-Irak est déclenchée. 8 ans de conflit, plusieurs morts. Au sortir de cet épisode, la dissuasion nucléaire apparaît comme un radeau pour pérenniser la République islamique. Le programme nucléaire iranien est relancé. Washington s’inquiète, de même que Tel-Aviv.
La chute de Saddam Hussein rebat les cartes. L’Iran devient le grand gagnant. La République islamique gagne une profondeur stratégique de Herat à la Méditerranée. Le Hezbollah humilie Israël en 2006. Pas question de laisser à l’Iran le monopole stratégique de la région. Le printemps arabe renforce également l’Iran qui gagne un pied au Yémen. Mais la chute de Bachar Al-Assad a rebattu les cartes.
Les raisons de l’offensive israélienne
Les attaques du Hamas, le 7 octobre 2023, ont rebattu les cartes. Le tout-puissant « Mossad » est pris de court par le Hamas. Des soldats tués et plusieurs citoyens pris en otage. Inacceptable, selon l’establishment israélien. Le mot d’ordre est clair alors : casser l’axe de la résistance. Une offensive terrestre et aérienne est lancée contre Gaza pour anéantir le Hamas. L’état-major de celui-ci est presque décapité. 3 ans après, le groupe tient tête au Tsahal même sur les ruines. Le Hezbollah est affaibli. Ses capacités balistiques amoindries. La chute de Bachar Al-Assad, dont le Hezbollah était un soutien de taille, fait perdre à l’Iran un allié de taille.
Par ailleurs, l’opération militaire est lancée à quelques jours de la conférence pour la reconnaissance de la Palestine qui devrait se tenir 17 au 20 juin à New York. Un événement reportée « pour des raisons logistiques et sécuritaires.Faut-il y voir une stratégie de diversion pour différer un revers diplomatique de l’État hébreu ? Il est fort possible.
Le timing interroge également. Benjamin Netanyahou joue sa survie. À chaque fois qu’il se sent vulnérable sur le plan intérieur, il met la machine du Tsahal en marche pour se renforcer politiquement. Les attaques du 7 octobre, les otages et les affaires de corruption sont sur la table. Bibi est plus que jamais dans l’œil du cyclone. Essaie-t-il de différer sa chute inéluctable ? Plausible.
Que faut-il retenir ?
L’attaque israélienne, comme d’habitude, a pris par surprise Téhéran. Dès les premiers jours, les cellules dormantes du Mossad ont été activées. Objectif : tuer les caciques des Gardiens de la Révolution et les scientifiques nucléaires. Il s’ensuit des essaims de F-15 pour frapper les sites jugés stratégiques. Un échec du contre-espionnage iranien.
Toutefois, les tentatives du Tsahal de désorganiser la chaîne de commandement des forces armées iraniennes se sont avérées être un échec cuisant. Non seulement Téhéran s’est réorganisé, mais la réponse a été brutale et précise. Ainsi, Téhéran prouve que sa capacité balistique est de pointe. Les frappes chirurgicales sur Haïfa et le centre de Tel-Aviv enterrent le mythe de l’invisibilité du « Dôme de fer ». Les dégâts auraient été plus importants si les Américains n’avaient pas intercepté certains missiles qui se dirigeaient vers Tel-Aviv.
Le programme nucléaire iranien détruit ?
La crise a montré qu’Israël n’a pas les capacités pour frapper le programme nucléaire iranien. Les bombardements sur le site de Natanz n’avaient rien changé. Dès lors, l’intervention de Washington devient imminente. Il est clair que l’influence du Likoud sur le MAGA n’est pas un secret de polichinelle. Les bombardements de B-2 sur Natanz et Fordow ont été dévastateurs. Mais ont-ils eu les effets escomptés ? Si à Natanz les usines de conversion d’uranium ont été touchées, par contre les petits réacteurs nucléaires sont intacts. Pour Fordow, les photos satellites ont montré des trous, mais ont-ils suffi à toucher les galeries profondément enterrées ? Même si les infrastructures ont été détruites et des scientifiques tués, le savoir-faire et les connaissances demeurent. Les frappes n’ont pas anéanti le programme nucléaire iranien, mais elles l’ont juste ralenti. Après les évaluations, il est fort probable que les Iraniens vont reconstruire pièce par pièce leur programme nucléaire. Et cette fois-ci, ils iront peut-être loin. L’Iran a pris « les mesures nécessaires » pour poursuivre son programme nucléaire.
« Nous avons pris les mesures nécessaires et nous faisons le point sur les dégâts » provoqués par les frappes, a déclaré le chef de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, Mohammad Eslami, dans une déclaration retransmise par la télévision d’État. « Les plans pour la remise en marche [des installations] ont été préparés en amont et notre stratégie est d’assurer que la production et les services ne soient pas perturbés », a-t-il ajouté.
La Chine, la Russie et l’Europe dans tout ça ?
Les frappes israéliennes et américaines ont montré une violation flagrante du droit international. Par contre, dans la course des cœurs, la Chine marque des points précieux. Les appels à la désescalade de Pékin font paraître l’Empire du Milieu comme « une puissance stabilisatrice ». Le ton belliqueux de Trump et son soutien à Israël font passer les États-Unis pour une puissance « déstabilisatrice ».
La Russie s’est contentée de regarder impuissante son allié Téhéran. Et pourtant, la République islamique d’Iran a soutenu la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine en lui fournissant des drones très efficaces et des lanceurs de missiles balistiques. La chute de Bachar Al-Assad porte un coup dur à la crédibilité de Moscou. Existe-t-il un accord tacite Poutine – Trump : « Je vous laisse l’Ukraine et je vous donne la Syrie et je ferme les yeux sur l’Iran » ? En tout cas, la réaction de Moscou n’était que diplomatique en excluant toute intervention.
L’Europe se trouve dans une situation compliquée. Elle a condamné l’invasion russe de l’Ukraine comme une violation flagrante du droit international, tandis qu’elle hésite à dénoncer les frappes américaines et israéliennes contre l’Iran. Le chancelier allemand Friedrich Merz a même donné carte blanche à IsraëlUne telle prise de position fragilise la posture morale de l’Europe sur la scène internationale et donne l’image d’une politique à géométrie variable.
La stratégie iranienne qui a mis fin à la guerre
Trump se vante d’être le garant du cessez-le-feu. Mais, il est contraint. Les stratèges iraniens ne sont pas dupes. Dès l’implication américaine, ils ont réagi en essayant de régionaliser la guerre. Les missiles lancés sur le Qatar ont poussé les États-Unis et les autres pays de la région à réagir. Une guerre dans le Golfe Persique et la fermeture du détroit d’Ormuz seraient une catastrophe pour l’économie mondiale. Les prix du baril commençaient à exploser.
La chute du régime tant souhaitée par les Occidentaux n’aura pas lieu. Les frappes israéliennes n’ont fait que renforcer le nationalisme « persan ». Le narratif de la forteresse assiégée des dirigeants iraniens trouve écho maintenant auprès d’une grande partie de la population.
« Aux jeux d’échecs, les Perses n’échouent jamais. »
El Hadji Ibrahima FAYE