Exposition « Mélokaan »: Taha Diakaté, l’art comme miroir de la conscience humaine

Exposition « Mélokaan »: Taha Diakaté, l’art comme miroir de la conscience humaine

Jeudi dernier, le Musée Théodore Monod de Dakar a vibré au rythme d’une exposition hors du commun. Dans l’écrin majestueux d’un bâtiment colonial de style art déco, l’artiste plasticien sénégalais Taha Diakaté a dévoilé sa nouvelle réflexion plastique, rassemblée sous le concept puissant de « Mélokaan ». Une plongée sensorielle et philosophique dans l’univers de l’homme, de son apparence et de sa conscience, qui a transporté le public bien au-delà des murs de la galerie.

Dès le seuil franchi, les visiteurs se sont laissés happer par l’atmosphère singulière des lieux. Dans la grande salle principale, transformée en scène de dialogue, les tableaux attiraient irrésistiblement les regards. Pièces maîtresses de l’exposition, elles semblaient bouger, se transformer, se chercher elles-mêmes, traduisant la quête perpétuelle de l’homme en mouvement. Et pour souligner cette dynamique, un flûtiste, installé sur les escaliers, laissait s’échapper des notes légères, tantôt mélancoliques, tantôt joyeuses, qui donnaient aux œuvres une vibration supplémentaire.

Quand l’art devient interpellation

Taha Diakaté n’a jamais fait de concessions. Son art n’est pas décoratif, il est interrogatif. Depuis les années 1990, après ses débuts à l’École Nationale des Arts de Dakar et ses formations en Allemagne, l’artiste s’est forgé une identité visuelle singulière, ancrée dans la culture africaine mais ouverte aux échanges internationaux. Ses œuvres comme « Xalat » (réfléchir) « Bénn Bopp » (Être d’un seul tenant), « Allah » (Dieu), « Kakatar » (le caméléon) ou encore sur la dépigmentation, portent toutes la même empreinte. C’est-à-dire l’homme et sa conscience comme champ d’exploration. Avec « Mélokaan », terme wolof évoquant l’apparence et ses illusions, l’artiste pousse plus loin sa réflexion.  « Nous vivons une époque où certains veulent changer leur peau, leur corps, leur visage, pour coller à des standards artificiels », explique l’artiste, entouré d’un cercle de visiteurs attentifs. « Mais nous avons déjà une couleur, une identité, une beauté. La conscience humaine devrait servir à nous construire, pas à nous effacer », lâche-t-il sourire aux lèvres.

Un art engagé

Après la visite intérieure, le public s’est dirigé vers le jardin verdoyant du musée, où l’exposition se prolongeait en plein air. Les installations métalliques dévoilées hier soir interrogent frontalement les dérives de la consommation et de l’aliénation culturelle. L’une d’elles, intitulée Cheveux artificiels, représente de longs filaments métalliques qui retombent comme une cascade figée. Une métaphore puissante des perruques et extensions importées qui colonisent les imaginaires. La seconde évoque des formes mécaniques, rigides, étouffantes, comme si l’homme, prisonnier de son désir de ressembler à un autre, s’enchaînait lui-même.

Le contraste entre la rigueur du bâtiment colonial et la liberté du jardin donnait une dimension nouvelle à l’événement. Là, une slameuse est montée sur scène improvisée, offrant un texte vibrant sur la peau, l’identité et la mémoire. Sa voix, puissante et rythmée, résonnait entre les arbres, tandis que les installations semblaient lui répondre en silence. Cette mise en scène n’avait rien du hasard. Pour Taha Diakhaté, l’art ne vit que dans l’interaction. « J’ai voulu que l’exposition soit un espace de dialogue », dit-il. Et de poursuivre : « Dialogue entre les matériaux, les sons et surtout, entre les visiteurs et leur propre conscience ». Et le public, nombreux et varié, ne s’y est pas trompé. On pouvait lire sur les visages la surprise, l’inconfort parfois, mais aussi l’émerveillement. Certains prenaient des photos avec leurs téléphones, d’autres restaient longtemps immobiles devant les pièces, comme figés dans une introspection silencieuse.

Une continuité dans la rupture

L’exposition « Mélokaan » s’inscrit dans un parcours artistique déjà riche. En 2011, l’artiste avait marqué les esprits avec son exposition « Xoolal sa bopp » à la Galerie Nationale d’Art, centrée sur le regard que l’homme porte sur lui-même. Depuis, il a multiplié les projets, toujours en gardant le même fil conducteur. Que faisons-nous de notre conscience ?

Cette fois, sa réflexion prend un tour plus urgent, presque militant. La question de la dépigmentation, de l’obsession des cheveux lisses ou de l’équipement ostentatoire, devient un cri d’alarme. « Voir une femme s’éclaircir la peau ou dépenser des fortunes pour des cheveux importés m’interpelle profondément », confie-t-il. « Alors je les enferme symboliquement dans mes installations, pour qu’elles se reconnaissent et s’interrogent » dit-il tout souriant.

L’art comme acte de résistance

Le pari de Taha Diakhaté est d’utiliser l’art comme arme douce de résistance culturelle. Dans un monde où l’image prend le pas sur l’essence où l’apparence dicte la valeur sociale, ses œuvres invitent à une rébellion intérieure. Une rébellion contre l’oubli de soi, contre la dévalorisation de l’identité africaine, contre la superficialité érigée en norme. Cette ambition a pris corps, entre le souffle d’une flûte, le verbe enflammé d’un slam et le silence imposant des installations métalliques. En quittant les lieux, beaucoup semblaient repartir avec une part de ce questionnement : qu’est-ce que je montre au monde, et qu’est-ce que je suis réellement ? Avec « Mélokaan », Taha Diakhaté nous tend un miroir. Mais c’est un miroir sans complaisance, qui ne reflète pas seulement nos visages, mais aussi nos contradictions et nos espoirs.

El Faye

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