L’ancien ministre El Hadji Ibrahima Sall dresse un constat sévère sur la situation économique, sécuritaire et sociale du Sénégal. Dans une analyse percutante, il alerte sur les dérives actuelles et propose des mesures fortes pour redresser la nation. Une prise de parole rare, entre lucidité, fermeté et appel à l’action.
L’économie sénégalaise, souvent vantée pour ses performances macroéconomiques, est en réalité minée par un mal plus insidieux : la crise de confiance. Pour El Hadji Ibrahima Sall, ce n’est pas tant la croissance du PIB ou le niveau d’endettement qui doivent inquiéter, mais plutôt la perception des acteurs économiques. “Quand on perd la confiance, on perd tout”, martèle l’ancien ministre, rappelant que les anticipations des investisseurs, entreprises et ménages peuvent saper les fondations d’une économie, même apparemment stable.
Une économie en panne de confiance
Un exemple révélateur, selon lui. C’est la dégradation récente de la notation financière du Sénégal, assortie d’une perspective négative. Une alerte claire sur la méfiance des bailleurs et des marchés internationaux. À cela s’ajoutent des prises de position politiques jugées irresponsables. Sall fustige notamment les discours radicaux contre le franc CFA : “Menacer de sortir de la zone CFA, c’est envoyer un signal de panique aux investisseurs. Ces déclarations sont mortelles pour l’économie.”
L’ancien président de la Commission économique et sociale ne se contente pas de critiquer. Il appelle à une communication apaisée, à des audits rigoureux, et à une gouvernance fondée sur la transparence. Selon lui, seule une parole publique cohérente et rassurante peut rétablir la confiance dans un contexte fragilisé.
La sécurité nationale, une priorité absolue dans un contexte explosif
« Nous sommes encerclés par une ceinture de feu », prévient Ibrahima Sall, en référence à la dégradation sécuritaire dans les pays voisins comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Pour lui, le Sénégal ne peut plus se permettre l’angélisme. « La menace djihadiste est réelle, les tensions régionales s’intensifient, et le pays doit impérativement renforcer ses capacités de défense », alerte-t-il.
Il préconise une série de mesures ambitieuses : augmentation du budget militaire, vote d’une loi de programmation, recentrage de l’armée sur ses fonctions régaliennes. « Les forces armées doivent se concentrer sur l’opérationnel, pas sur des missions sociales ou de prestige », souligne El Hadji Ibrahima Sall. Il appelle aussi à une montée en puissance du renseignement, y compris en impliquant les citoyens à travers une réserve civile, à l’image de ce qui se fait en Ukraine.
Plus audacieux encore, il exhorte les autorités à appliquer l’article de la Constitution qui prévoit le service militaire obligatoire. Selon lui, il s’agirait non seulement d’un outil de défense, mais aussi de formation civique pour une jeunesse en mal de repères. « Il faut former une génération patriote, disciplinée et préparée aux défis de notre temps », avance-t-il.
Sur le plan diplomatique, il rejette les tendances au repli souverainiste. « Le souverainisme d’adolescence, c’est de rompre avec ses alliés en pleine tempête », fustige-t-il. Plaidant pour des partenariats stratégiques intelligents, il cite la coopération avec la France dans le domaine du renseignement comme un levier à préserver.
L’aveuglement des politiques publiques
En matière de conditions de vie, Ibrahima Sall ne mâche pas ses mots. Il dénonce une gouvernance aveugle, incapable de piloter efficacement faute de données fiables. « On prend des décisions sans indicateurs, sans observatoires, sans connaissance réelle du terrain », dit-il. Selon lui, cette absence de pilotage statistique empêche toute réforme efficace sur le pouvoir d’achat.
Il propose la création d’un Observatoire du niveau de vie, capable de suivre finement les conditions réelles des populations selon les zones géographiques, les types de ménages, ou encore les niveaux de consommation. Objectif : sortir des slogans pour agir avec des instruments adaptés.
Autre angle d’attaque : la régulation des grands monopoles de service public. Sénélec, SDE, Orange, pour ne citer qu’eux, pratiqueraient des tarifs opaques, sans réel contrôle sur les coûts. Pour Sall, ces pratiques alimentent la précarité et l’injustice sociale. Il appelle à des audits publics, une transparence tarifaire et une vraie lutte contre l’enrichissement illicite.
Il revient également sur la question foncière, devenue explosive. La spéculation urbaine, facilitée par des lois biaisées, protège les élites au détriment du bien commun. Il s’appuie sur les récents rapports de la Cour des Comptes, notamment les scandales fonciers, qu’il qualifie de « partie émergée de l’iceberg ». Pour lui, seule une réforme foncière profonde et une fiscalité équitable permettront de libérer le foncier pour le développement.
Un plan de salut national, entre courage et exigence
Derrière ce tableau sombre, El Hadji Ibrahima Sall esquisse une stratégie de redressement national. Elle repose sur trois piliers : restaurer la confiance à travers une gouvernance transparente ; militariser la nation dans un cadre républicain face aux menaces sécuritaires ; rationaliser l’économie avec des données fiables et une régulation efficace des secteurs stratégiques.
Sa conclusion est sans ambiguïté. « La politique doit reculer, l’armée et l’expertise doivent avancer », plaide-t-il. Une formule choc qui résume son appel à la rigueur, à la compétence, et à la responsabilité. À rebours des discours populistes ou démagogiques, l’ancien ministre invite les dirigeants à affronter les défis structurels avec lucidité et fermeté.
À travers cette prise de parole rare, El Hadji Ibrahima Sall se positionne non comme un nostalgique du pouvoir, mais comme un veilleur républicain, qui alerte, propose, et pousse à l’action. Reste à savoir si sa voix sera entendue et surtout, si les décideurs auront le courage politique d’appliquer ces orientations.
El FAYE