Le Tera-meeting du 8 novembre 2025, tenu sur le parking du stade Léopold Sédar Senghor, n’était pas un rassemblement de plus pour Ousmane Sonko. Ce fut un acte politique fondateur, une séquence d’affirmation et de rupture. Le Premier ministre et leader de Pastef, devant une foule en liesse, a donné le ton d’une nouvelle étape du pouvoir mais celle de la consolidation, de la fermeté et des clarifications.
En l’espace de quelques heures, Sonko a réaffirmé la souveraineté économique du pays face au FMI, dénoncé la « dette cachée » du régime Sall, appelé à la dissolution de l’APR, recentré son discours sur la justice et dissipé les rumeurs de tensions avec le président Bassirou Diomaye Faye. Mais il a aussi, en filigrane, acté la fin d’une cohabitation fragile au sein de la majorité, incarnée par les cas Abdourahmane Diouf et Aminata Touré. À travers ce discours-fleuve, le Premier ministre a voulu donner un signal fort. L’heure est désormais à l’ordre, à la discipline et au « nettoyage » d’un système que son camp accuse d’avoir survécu à l’alternance.
La majorité sous tension
Depuis l’installation du gouvernement, les signes de tiraillement n’ont pas manqué. Les différences de ton et de méthode entre les membres de la coalition Diomaye-Sonko s’étaient multipliées, révélant un équilibre interne délicat entre les militants historiques du Pastef et les alliés venus d’autres horizons.
Le 8 novembre, Ousmane Sonko a décidé de trancher. Sans le nommer, il a directement visé Abdourahmane Diouf, ministre influent, qui avait appelé à « bannir toute velléité de vengeance » dans la reddition des comptes. « Cet allié n’est pas sincère. Il cherche à opposer Diomaye et Sonko. Il n’a pas sa place dans le gouvernement », a martelé le Premier ministre sous les applaudissements nourris de ses partisans.Ce désaveu public équivaut à une rupture politique. Abdourahmane Diouf, symbole d’ouverture et d’équilibre, était l’un des visages de la modération au sein du pouvoir.
Son départ, désormais inéluctable, ouvre une nouvelle ère celle d’un recentrage du gouvernement sur les figures les plus loyales à la ligne du Pastef.
Derrière ce geste d’autorité, Sonko veut resserrer les rangs et éviter que la majorité présidentielle ne se délite sous le poids des ambitions personnelles. L’après-élection n’est plus le temps du partage des postes, mais celui de la cohérence idéologique et de la loyauté politique.
L’autre moment fort du Tera-meeting fut la relance du dossier de la « dette cachée » et la dénonciation d’un « héritage de trahison d’État ». Selon Ousmane Sonko, l’audit réalisé après l’arrivée au pouvoir révèle que la dette publique sénégalaise atteindrait 130 % du PIB, conséquence de « pratiques dissimulées » du régime précédent. « Le régime de Macky Sall a menti aux Sénégalais. Il a caché des dettes colossales. C’est de la haute trahison, car des générations entières devront en payer le prix », a-t-il déclaré avec gravité.
Mimi Touré au cœur de la tourmente
Mais c’est surtout son allusion à une « personnalité politique épinglée pour 2 milliards de francs CFA » qui a enflammé le débat public. Beaucoup y ont vu une référence directe à Aminata Touré, ancienne présidente du CESE, déjà citée dans des polémiques similaires. Ce nouvel épisode montre que la reddition des comptes est devenue un axe central de la stratégie de Sonko — au risque d’ouvrir une nouvelle ligne de fracture avec certains acteurs de la classe politique. Pour ses soutiens, il s’agit de rendre justice aux Sénégalais et de tourner la page d’un système gangrené par la corruption. Pour ses détracteurs, c’est une opération de communication politique, voire de règlement de comptes.
La guerre ouverte contre l’APR
Le 8 novembre a aussi marqué le début d’une nouvelle offensive frontale contre l’Alliance pour la République (APR), le parti de l’ancien président Macky Sall. Ousmane Sonko a franchi un cap en appelant à sa dissolution pure et simple : « L’APR est un parti criminel. Il doit être dissous car il a perdu toute légitimité dans ce pays. »
Cette sortie radicale s’inscrit dans une stratégie politique assumée : faire de la reddition des comptes une arme de mobilisation et d’unité pour le camp au pouvoir. Le Premier ministre veut incarner la rupture totale avec l’ancien régime, accusé d’avoir plongé le pays dans une crise financière et morale.
Mais cette offensive ne laisse pas l’opposition indifférente. L’ancien ministre Mame Mbaye Niang, cité dans le dossier du Prodac, a riposté avec virulence sur les ondes de la RFM. Il a annoncé une plainte contre le cabinet d’expertise mis en cause par Sonko et nié tout détournement. « Le rapport dont parle Sonko n’existe pas dans les termes qu’il évoque », a-t-il affirmé, accusant le Premier ministre de manipuler l’opinion.
Cette confrontation entre l’exécutif et les anciens dignitaires du régime Sall s’annonce durable. Elle risque d’alimenter une polarisation politique déjà très marquée, tout en exposant le gouvernement à la tentation de la surenchère populiste.
La question de la justice
Le thème du « nettoyage » revient avec insistance dans les discours du Premier ministre. « Le système qu’on a combattu est toujours présent dans la justice, dans l’administration… Tant que ces mêmes personnes seront là, elles annuleront toujours le fruit de notre travail », a-t-il lancé, appelant à une refondation radicale de l’appareil d’État.
Ayib Daffé, secrétaire général de Pastef et président du groupe parlementaire, a appuyé cette orientation, affirmant que « si on parle de nettoyage, c’est dans toute l’administration ». Selon lui, il faut remplacer les agents défaillants par des fonctionnaires compétents et intègres, afin de restaurer la confiance des citoyens.
Cette volonté de refondation suscite toutefois des interrogations : jusqu’où aller sans compromettre la stabilité institutionnelle ? Comment réformer sans tomber dans l’épuration ? Daffé reconnaît lui-même que « la transformation de l’État est un travail de longue haleine », soulignant que les résistances internes sont puissantes et que le changement réel prendra du temps.
Diomaye et Sonko , l’unité au sommet comme rempart
Face à ces tensions internes et externes, Ousmane Sonko a tenu à clarifier sa relation avec le président Bassirou Diomaye Faye. « Une dissension ne viendra pas de moi, et je le pense, elle ne viendra pas de lui non plus », a-t-il assuré.
Cette mise au point vise à rassurer la base du Pastef et l’opinion publique, alors que des rumeurs persistantes évoquent des divergences de ligne entre les deux hommes.
Sonko rappelle que leur collaboration s’est toujours construite sur la complémentarité et la transparence, même dans leurs désaccords. En nommant Diomaye Faye à la présidence et Sonko à la primature, le duo a voulu instaurer un équilibre inédit : une présidence de concertation et un gouvernement d’action. Mais cette architecture repose sur une condition essentielle : la cohésion. Le discours du 8 novembre sonne donc comme un rappel à l’ordre adressé à l’ensemble de la majorité. L’unité du tandem Diomaye-Sonko demeure le socle de la stabilité politique et la clé de la mise en œuvre du programme de rupture.
Le temps de l’après-8 novembre, c’est celui des choix et des clarifications. C’est le moment où la promesse de rupture se confronte à la réalité du pouvoir.
Entre fidélité aux idéaux et gestion des équilibres, le tandem Diomaye-Sonko joue désormais sa crédibilité et peut-être, son avenir politique.
El Faye

