【REPORTAGE】- La « guerre des pétards » divise à l’approche des fêtes

【REPORTAGE】- La « guerre des pétards » divise à l’approche des fêtes

À la veille des célébrations de fin d’année, la Médina, quartier historique et populaire de Dakar, vit sous le rythme assourdissant des pétards. Dans ses rues, où se croisent vendeurs ambulants, familles et jeunes désœuvrés, les détonations résonnent comme un fond sonore permanent durant les fins de fêtes d’années. Ce vacarme, devenu presque ordinaire, est pourtant au cœur d’une vive controverse depuis que le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique a haussé le ton contre la prolifération des engins pyrotechniques, qualifiés de menace sérieuse pour la sécurité et la quiétude des populations.

Sur le boulevard Mamadou Dia et dans les artères secondaires de la Médina, les vendeurs de pétards sont présents. Il ne se font plus discrets. Ici, pas d’étals tape-à-l’œil, quelques sachets plastiques glissés sur la table ou transportés dans un sac en bandoulière. Mamadou, la quarantaine, vendeur occasionnel, reconnaît que le climat n’est plus le même. « Les affaires marchent plus ou moins bien. Avant, à cette période, on vendait beaucoup plus. Maintenant, avec les annonces du ministère et la peur des contrôles, les clients hésitent », confie-t-il, le regard attentif aux mouvements autour de lui.

Selon lui, la clientèle est essentiellement composée de jeunes, parfois envoyés par des amis plus âgés. « Ils viennent acheter en petite quantité. Personne ne veut prendre trop de risques. » Un peu plus loin, Abdou, jeune vendeur d’une vingtaine d’années, nuance le propos. « Ça dépend des jours. En semaine, ce n’est pas évident, mais le week-end, surtout le soir, ça marche encore. Les jeunes aiment ça, malgré tout », dit-il.

Cependant, la pression sociale se fait sentir. « Il y a des parents qui viennent nous parler directement. Ils disent que les enfants se blessent, que ça fait trop de bruit. On comprend, mais c’est aussi un moyen de gagner un peu d’argent », explique Abdou. Pour ces petits vendeurs, souvent sans emploi stable, le commerce des pétards représente une opportunité saisonnière, aujourd’hui menacée par le durcissement annoncé des autorités.

Des parents soulagés et inquiets pour leurs enfants

Dans les concessions familiales de la Médina, le ton change radicalement. Pour de nombreux parents, la décision du ministère de l’Intérieur est perçue comme une mesure nécessaire, voire salvatrice. Aïssatou Ndoye, mère de trois enfants, ne cache pas son soulagement. « On ne dort plus tranquillement pendant cette période. Les pétards explosent à toute heure. Les enfants se blessent, et parfois gravement. L’année dernière, un garçon du quartier a perdu un doigt. Ce n’est pas un jeu », souligne-t-elle. Assise devant sa maison, elle raconte la peur quotidienne. « Quand j’entends une forte détonation, je sursaute. On dirait parfois des coups de feu. Les enfants sont traumatisés, les personnes âgées aussi. » Pour elle, l’État devait intervenir depuis longtemps. « Les fêtes doivent être un moment de joie et de paix, pas de stress », ajoute-t-elle. Même son de cloche chez Moussa, chauffeur de taxi et père de famille. « Ce n’est pas notre tradition. Avant, les fêtes étaient synonymes de visites familiales, de partage, de musique. Aujourd’hui, on a l’impression que la violence sonore a remplacé tout ça. » Il insiste sur la responsabilité collective. « Si on laisse faire, les enfants pensent que tout est permis. Les parents doivent soutenir la décision du ministère. »

D’autres habitants évoquent aussi les risques matériels. « Un pétard peut facilement provoquer un incendie dans ces maisons serrées les unes contre les autres », avertit un riverain. Dans un quartier aussi dense que la Médina, la peur d’un accident majeur est bien réelle.

Les jeunes entre jeu et besoin de distraction

À quelques rues de là, près d’un terrain vague ou d’une maison abandonnée, les jeunes se regroupent, pétards en main. Pour eux, la polémique semble exagérée. Ibrahima, 16 ans, assume pleinement. « Ce n’est rien du tout. C’est juste pour jouer. On s’amuse entre quartiers, surtout pendant les fêtes. » À ses côtés, Ousmane renchérit : « On fait attention. On ne vise personne. Les grands dramatisent. »

Pour ces adolescents, la « guerre des pétards » est aussi une forme de compétition et d’affirmation. « C’est pour montrer qu’on est là, qu’on existe », explique l’un d’eux. Beaucoup évoquent le manque d’alternatives. « Il n’y a pas de terrains de sport bien aménagés, pas d’activités. Les pétards, c’est notre distraction », confie un jeune, un brin provocateur.

L’annonce de sanctions est mal vécue. « On nous interdit toujours tout. Pourtant, ce n’est pas grave. C’est juste pour s’amuser », lance un adolescent, visiblement frustré. Cette insouciance contraste fortement avec les récits d’accidents évoqués par les parents, révélant un fossé générationnel difficile à combler.

El FAYE

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