Au Sénégal, la fracture politique est géographique, pas ethnique

Au Sénégal, la fracture politique est géographique, pas ethnique

Alors que la polarisation identitaire menace de nombreuses démocraties à travers le monde, le Sénégal se distingue par une résilience particulière face aux divisions ethniques. C’est le constat majeur d’un nouveau rapport publié par l’organisation International IDEA, intitulé « Diversité, démocratie et politique aux multiples facettes » (Diversity, Democracy and Politics Along Many Lines). L’étude, qui compare six nations dont la Sierra Leone, l’Inde et les États-Unis, révèle qu’au pays de la Teranga, les lignes de faille ne sont pas celles que l’on croit : ce n’est pas l’origine ethnique qui divise les électeurs, mais leur lieu de résidence.

Le rapport met en exergue le contraste saisissant entre le Sénégal et la Sierra Leone, deux pays d’Afrique de l’Ouest à la diversité ethnique comparable. En Sierra Leone, la politique est structurellement polarisée : les perceptions de la démocratie varient radicalement selon que l’on est Mende ou Temne, chaque groupe étant historiquement aligné avec un parti politique.​

Rien de tel au Sénégal. Les données de l’enquête montrent que les niveaux de confiance envers les institutions sont remarquablement homogènes entre les différents groupes. Les Wolofs (groupe majoritaire) affichent des taux de satisfaction quasi identiques à ceux des minorités Pulaar, Jola ou Mandinka. Pour les chercheurs d’International IDEA, cette « invisibilité politique » de l’ethnie est le fruit d’une histoire singulière et des efforts conscients des élites fondatrices du pays pour « favoriser une identité civique sénégalaise » transcendant les appartenances communautaires et religieuses.​

Si la paix ethnique semble préservée, une autre fracture se creuse : celle opposant les urbains aux ruraux. Le rapport identifie la géographie comme le principal déterminant de la confiance politique au Sénégal. Les habitants des zones urbaines se montrent beaucoup plus critiques : ils accordent une note très faible (1,37 sur 4) à la crédibilité des élections, traduisant un profond scepticisme.​

À l’inverse, les populations rurales (2,32) et celles des villes secondaires (2,49) ont une perception bien plus positive du processus électoral. Le rapport explique ce paradoxe par la persistance de systèmes de parrainage et de clientélisme. Dans les zones rurales, où l’accès aux services publics est limité, ces réseaux clientélistes sont souvent perçus comme des mécanismes efficaces d’aide sociale, renforçant ainsi la satisfaction envers les élus, là où les citadins y voient de la corruption ou un dysfonctionnement démocratique.​

Au-delà de ces divergences géographiques, les Sénégalais se retrouvent sur deux points. D’une part, une croyance forte en l’utilité du vote : qu’ils soient Wolofs, Pulaars, citadins ou ruraux, une large majorité s’accorde à dire que « voter est un moyen significatif d’influencer le gouvernement » (score moyen de 3,48 sur 4).​

D’autre part, ils partagent une même défiance envers le système judiciaire. Comme en Sierra Leone, les sondés sénégalais, toutes origines confondues, jugent sévèrement l’accès à la justice, estimant que les tribunaux ne garantissent que rarement un traitement équitable. Le rapport conclut que si le Sénégal a réussi à neutraliser le poison de la division ethnique, il doit désormais relever le défi des inégalités territoriales et de l’État de droit pour consolider son modèle démocratique

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