Durant de nombreuses années, le Sénégal a été reconnu comme un modèle pour l’excellence de son action diplomatique, son poids au sein des principales organisations mondiales et le prestige de ses émissaires. Des présidents Léopold Sédar Senghor à Macky Sall, en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, Le pays avait bâti une solide réputation d’intermédiaire fiable, de défenseur de la coopération internationale et de facilitateur du dialogue entre les nations. Cependant, ces dernières années, son rayonnement a semblé décliner. Les revers répétés des candidatures sénégalaises à des fonctions clés, notamment au sein de l’Union africaine, de la FIFA, du mouvement olympique continental ou de la Banque africaine de développement, avaient engendré une perception de recul diplomatique. La question se posait alors : le Sénégal était-il en train de perdre son statut sur la scène mondiale ?
La nomination du Sénégal à la présidence de la Commission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour la période 2026-2030 vient aujourd’hui réfuter clairement ces appréhensions. Pour le gouvernement sénégalais, c’est une victoire diplomatique significative, avec une importance symbolique et stratégique considérable, signalant un repositionnement majeur dans une conjoncture régionale particulièrement délicate.
Une décision historique pour le Sénégal
Réunis samedi à Abuja, les dirigeants des États membres de la CEDEAO ont pour la première fois de son attribué au Sénégal la direction de la Commission de l’organisation. Cette nouvelle, communiquée dimanche par le ministère concerné, a été interprétée comme la reconnaissance du rôle prépondérant du pays dans l’unification de l’Afrique de l’Ouest.
D’après les représentants sénégalais, cette attribution est « le fruit d’un processus élaboré de discussions approfondies » menées avec les autres États. Elle témoignerait également de « la considération et la confiance renouvelées » que les partenaires régionaux accordent au Sénégal. Ainsi, Dakar prendra la suite d’Omar Alieu Touray, l’actuel président de la Commission, et se voit attribuer une mission essentielle pour les quatre années à venir, à une période où l’institution connaît une des conjonctures les plus complexes de son existence. La CEDEAO est confrontée à de nombreux enjeux : une insécurité durable au Sahel, des évolutions politiques étendues, des bouleversements institutionnels et le départ de plusieurs États membres regroupés au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES). Dans ce contexte d’affaiblissement de l’initiative communautaire, la nomination du Sénégal est perçue comme une option de constance et de pérennité. Le pays jouit toujours d’une réputation de démocratie relativement stable, d’un corps diplomatique aguerri et d’un héritage de facilitation avéré. En confiant la Commission à Dakar, les dirigeants ouest-africains semblent parier sur une action diplomatique apte à rétablir les échanges, à regagner la crédibilité et à redonner un élan à l’intégration régionale.
Pour les autorités sénégalaises, la mission consiste à présent à « renforcer la CEDEAO, favoriser la paix, la stabilité et le bien-être commun », tout en ajustant l’institution aux conjonctures politiques et de sécurité contemporaine.
Un retournement après une série de revers
Ce succès survient après une période caractérisée par plusieurs échecs diplomatiques. L’échec d’Abdoulaye Bathily à la présidence de la Commission de l’Union africaine, celui de Me Augustin Senghor au Conseil de la FIFA, le revers de Seydina Oumar Diagne à l’ACNOA, ou encore l’impossibilité pour le Sénégal de faire désigner Amadou Hott à la tête de la Banque africaine de développement, avaient conforté une vision sombre quant à la diminution du rayonnement sénégalais. Ces déboires avaient d’autant plus étonné qu’ils étaient en décalage avec l’histoire diplomatique de la nation, longtemps marquée par des personnalités marquantes occupant des fonctions stratégiques au sein d’institutions comme l’ONU, la FAO, la BAD, le CIO ou l’UNESCO. Pour de nombreux analystes, le Sénégal semblait avoir des difficultés à convertir son prestige historique en réalisations tangibles dans un environnement mondial devenu plus concurrentiel et polycentrique. L’obtention de la direction de la Commission de la CEDEAO permet ainsi à Dakar de mettre fin à cette tendance défavorable et d’attester que sa diplomatie reste apte à s’affirmer, pourvu qu’elle procède avec une approche structurée et constante.
Arrivé au pouvoir en avril 2024, le président Bassirou Diomaye Faye était sous les feux des projecteurs diplomatiques. Moins connu à l’échelle mondiale que certains de ses prédécesseurs, il a pris la tête d’un corps diplomatique fourni mais confronté à des enjeux inédits.
Depuis sa prise de fonction, il a effectué de nombreux voyages en Afrique, en Europe, au Moyen-Orient et en Asie, dans le but de replacer le Sénégal comme un partenaire fiable du dialogue régional et international. Bien qu’il n’ait pas toujours obtenu des succès éclatants – en particulier dans la médiation entre la CEDEAO et les nations de l’AES – son approche semble désormais produire ses effets. Le ministère des Affaires étrangères met en évidence que sa « direction résolue » et ses « directives clés » ont joué un rôle déterminant dans l’obtention de la Commission de la CEDEAO. Ce succès diplomatique améliore sa réputation sur la scène régionale et lui fournit un cadre institutionnel essentiel pour concrétiser ses objectifs.
Un retour aux fondamentaux de la diplomatie sénégalaise
La nomination du Sénégal s’intègre également dans un héritage continu. Depuis Senghor, la diplomatie sénégalaise s’est bâtie sur quelques valeurs immuables : la coopération multilatérale, la quête d’accord, la médiation et la promotion des échanges politiques. Sous Abdou Diouf, le pays s’est imposé comme un artisan de la paix en Afrique de l’Ouest et centrale. Abdoulaye Wade, de son côté, a instauré une approche diplomatique plus proactive et axée sur l’économie. Macky Sall a renforcé cette orientation en pariant sur la constance et l’équilibre entre puissances occidentales et émergentes. Aujourd’hui, l’obtention de la Commission de la CEDEAO est perçue comme un retour aux principes essentiels, au sein d’une région où la compétence diplomatique du Sénégal demeure largement admise.
Diriger la Commission de la CEDEAO ne représente pas qu’une distinction symbolique. C’est un atout politique et diplomatique considérable, qui permettra au Sénégal d’influencer les directions clés de l’organisation, de modeler les dispositifs d’anticipation des désaccords et de participer à la refonte du projet communautaire. Cette fonction pourrait aussi servir de passerelle pour replacer des experts sénégalais dans d’autres instances régionales et mondiales, à condition d’adopter une approche unifiée de valorisation des compétences nationales.
Si cette nomination représente un point de bascule, elle ne pourrait à elle seule gommer les vulnérabilités existantes. Le rayonnement diplomatique ne s’impose pas par simple décision : il s’élabore sur la durée, grâce à l’excellence des représentants, à la cohérence des prises de position et à l’aptitude à prévoir les évolutions du système international. Le Sénégal possède toujours un important patrimoine immatériel, alimenté par son influence douce culturelle, sportive et intellectuelle. La CEDEAO présente aujourd’hui une occasion tangible de convertir ce patrimoine en un pouvoir effectif.
En assumant la direction de la Commission de la CEDEAO pour la période 2026-2030, le Sénégal entame une nouvelle phase de sa diplomatie. Après une série de revers, cette victoire confirme que la nation reste un acteur essentiel de l’espace ouest-africain. Dans une région cherchant des références et de la constance, Dakar se voit confier une mission d’importance capitale. Il reste à présent à convertir cette réussite diplomatique en réalisations concrètes, afin de favoriser l’unification régionale et la reconnaissance restaurée du Sénégal sur la scène internationale.
El FAYE

