L’interpellation récente d’un ancien international de football et de ses supposés complices dans une affaire de fraude sur l’état civil dépasse le simple fait divers. Elle remet au premier plan la problématique structurelle de la gestion de l’état civil au Sénégal. Pendant des décennies, ce secteur stratégique a souffert de graves dysfonctionnements, malgré son importance dans l’accès aux droits fondamentaux.
L’extrait de naissance et la pièce d’identité sont, en effet, deux documents essentiels pour tout citoyen, car ils attestent de son identité, de son existence et de ses droits.
L’extrait de naissance est le premier document qui prouve l’existence et l’identité d’une personne. Il est souvent requis pour obtenir la nationalité et accéder à des services publics tels que l’éducation, la santé et la sécurité sociale.
Pour s’inscrire sur les listes électorales et exercer son droit de vote, la pièce d’identité est le document qui atteste de l’identité d’une personne et de sa citoyenneté.
Cette pièce est souvent requise, par ailleurs, pour accéder à des services tels que l’ouverture d’un compte bancaire, l’obtention d’un emploi ou la location d’un logement et pour voyager à l’étranger.
Elle protège également contre l’usurpation d’identité et la fraude.
Elle assure aussi la protection contre la violence et la criminalité, contre l’usurpation d’identité et la fraude.
Les documents d’identité permettent d’accéder à la justice et de faire valoir ses droits ainsi que contre la discrimination et l’exclusion.
En definitive, l’extrait de naissance et son pendant, la pièce d’identité sont des documents essentiels qui attestent de l’identité et des droits d’un citoyen en lui permettant d’accéder à des services et de protéger ses droits.
MODERNISATION ET NUMERUSATION
Le lancement récent du projet national de modernisation et de numérisation de l’état civil ouvre aujourd’hui de nouvelles perspectives à une nouvelle citoyenneté. Mais suffira-t-il à résoudre définitivement les dérives constatées ?
Des milliers d’enfants en ville comme campagne, sont encore sans extraits de naissance, donc sans identité. Inconnus dans aucun fichier, ils vivent de façon anonyme, même s’ils sont connus de leurs parents.Selon les chiffres officiels, près de 409 789 élèves des cycles préscolaire et élémentaire ne disposent pas d’acte de naissance.
Ces enfants se trouvent ainsi privés de droits essentiels tels que l’éducation, la santé, la protection sociale ou encore la participation à la vie citoyenne.
Les causes de cette absence d’enregistrement sont multiples :
naissances hors structures de santé, ignorance des parents, négligence, délais légaux dépassés, accès limité aux centres d’état civil, coûts des audiences foraines ou jugements supplétifs.
Pendant des années, l’état civil a été géré dans un laxisme quasi institutionnalisé avec un personnel non qualifié ou bénévole.
La plupart des agents relevaient de quotas politiques ou travaillaient sans formation appropriée. L’État n’a jamais véritablement encadré ou professionnalisé ce secteur pourtant vital.
Les registres ont été souvent exposés aux vols, aux incendies, aux intempéries et aux destructions accidentelles.
Dans certains centres, des cachets et registres ont été soustraits à leur ayant droit légitimes, des signatures falsifiées, ouvrant la voie à toutes sortes de trafics.
Des agents peu scrupuleux ont profité du vide pour vendre des actes, manipuler les registres ou fabriquer des extraits fictifs.
La crise de l’état civil génère deux phénomènes graves : des enfants sans déclaration à la naissance
qui grandissent sans identité légale. Certains se voient attribuer un document fictif ou un numéro emprunté à une autre personne le jour où tentent d’obtenir cette pièce.
D’où les nombreuses fraudes liées au sport, notamment au football
car certains jeunes footballeurs, se jugeant trop âgés pour monnayer leurs talents, cherchent à réduire artificiellement leur âge.
Ils se font alors établir de nouveaux actes, souvent falsifiés ou usurpés.
Dans les deux cas, les familles sont parfois piégées par des agents malhonnêtes.
Les séances foraines et jugements supplétifs, censés régulariser les situations, se sont révélés : coûteux, lents, insuffisamment efficaces, incapables de résorber le stock énorme d’enfants non déclarés.
Pour remédier à ces dysfonctionnements, l’État du Sénégal, avec le soutien de l’Union européenne, a lancé un vaste programme de modernisation comprenant la numérisation de plus de 19 millions d’actes d’état civil,
la Construction de centres modernes, l’équipement de 26 centres modèles, la formation de 3 000 agents d’état civil et 600 archivistes, la gratuité totale des déclarations de naissance, décès, mariage et divorce.
Les objectifs de cette réforme sont de sécuriser les données, éviter les falsifications, Faciliter l’accès des populations rurales, mettre fin au trafic de documents, offrir un systèmeq fiable et pérenne.
Plusieurs ONG et associations accompagnent également les familles pour régulariser la situation administrative de leurs enfants.
Afin d’assurer le succès durable de la réforme, il serait pertinent d’intégrer des acteurs issus de divers horizons, notamment les artistes et acteurs culturels, les communicateurs traditionnels, les imams et leaders religieux, les délégués de quartier, les Bajenu gox et les Associations communautaires.
Une réforme aussi sensible nécessite une approche participative, enracinée dans les réalités sociales et culturelles du pays.
La digitalisation de l’état civil représente une étape déterminante dans la sécurisation de l’identité des citoyens et la lutte contre les falsifications.
Mais pour qu’elle réussisse pleinement, elle doit s’appuyer sur une mobilisation collective, dépasser les simples infrastructures techniques et intégrer les acteurs de terrain.
L’état civil n’est pas seulement un service administratif, c’est la porte d’entrée à l’existence légale.
Le Sénégal ne peut se permettre de laisser encore des milliers d’enfants grandir sans identité.
Mamadou Kassé
Journaliste/Formateur.

