L’hémicycle a parfois des airs de scène antique où les protagonistes avancent en pleine lumière, chacun porteur d’un rôle qu’il assume plus ou moins. Ousmane Sonko, lui, s’y est présenté comme un acteur qui connaît son texte par cœur et qui choisit soigneusement les accents à poser. Devant les députés, il a déployé un discours qui prolongeait, presque note pour note, celui du 8 novembre. À croire que cette date est devenue une balise politique dont il n’entend plus s’écarter.
Sur la justice, Sonko a joué la gravité. « Nous ne ferons pas de pression sur la justice », a-t-il dit, comme s’il dictait aux institutions la conduite à suivre. « La justice doit s’exercer sans règlement de comptes et elle est seule à distinguer le coupable de l’innocent, mais elle doit faire vite ». Dans la bouche d’un Premier ministre dont le camp avait jadis éreinté le ministre Ousmane Diagne, la nuance avait un parfum d’évolution. Une lente marche vers une conception plus tempérée de l’indépendance judiciaire. Ou peut-être un changement de ton qui, sous sa façade apaisée, s’apparente à un rappel à l’ordre pour des magistrats souvent pris dans le tumulte politique.
Sonko a ensuite ressorti un concept qu’il affectionne. « Ce mandat est celui de la rectification ». Un terme qui évoque un artisan penché sur une horloge nationale dont il faut réaligner les rouages. Pour cela, dit-il, « cette génération doit consentir des sacrifices afin que la suivante vive mieux, comme l’ont fait les dragons asiatiques ». L’image est presque trop parfaite. Une nation qui serre les dents pour accélérer demain. Le Premier ministre trace une route exigeante et place la barre très haut, sans toujours préciser quels sacrifices seront demandés ni à qui.
Le passage sur Bassirou Diomaye Faye a créé un instant de flottement. « Je ne travaille pas pour Bassirou Diomaye Faye, je travaille pour le Sénégal, mais ce sera versé à son bilan ». Un exercice d’équilibriste. L’allégeance institutionnelle est reconnue, mais elle est enrobée d’une affirmation d’autonomie. Et dans la phrase suivante, une pierre est venue ricocher dans le jardin présidentiel. « Le pouvoir ne doit pas changer ceux qui l’exercent », a-t-il lancé. Le pouvoir change ceux qui ont un agenda personnel. Pour ceux qui l’écoutaient attentivement, il s’agissait d’un avertissement déguisé. Un rappel à la source idéologique qui, selon lui, doit rester la boussole du duo exécutif.
Devant les députés, il a aussi livré sa vision de la raison d’État. Une raison qui « appartient à ceux qui dirigent au nom d’une doctrine validée par le peuple ». En clair, l’idéologie n’est pas un danger. Elle serait même une légitimité. De quoi conforter sa posture de gardien d’une ligne politique qu’il estime non négociable.
Puis est revenu le fameux 8 novembre. Sonko a déclaré qu’il avait annoncé qu’il y aurait un après. « Ce jour a clarifié le jeu politique et forcé les acteurs à sortir du bois ». Une deuxième pierre, subtile mais audible. Elle visait ceux qui, selon lui, hésitent, temporisent, se placent en marge ou naviguent entre les blocs. À l’écouter, la scène politique se divise désormais en deux camps. Ceux qui assument. Et les autres.
En vérité, ce passage à l’Assemblée n’était pas une séance de reddition de comptes. C’était un chapitre supplémentaire de son discours fondateur du 8 novembre. La solennité du lieu n’a rien adouci. Au contraire, elle a servi de caisse de résonance à une ligne dont il veut faire un axe dominant du quinquennat. Tout ce qui se fera sera avec lui ou contre lui. Chacun devra choisir sa place et accepter les conséquences.
Avant de quitter la salle, Sonko a réservé une dernière pointe d’ironie. Il a évoqué ses avocats qui s’exprimeront bientôt sur l’affaire du Prodac, celle qui l’a rendu inéligible en 2024. Puis il a lancé un sourire tranchant. « Certains ne vont plus dormir ». Le message était limpide. L’affaire n’est pas close et ceux qui ont contribué à son exclusion électorale ou qui misent sur sa mise à l’écart seraient bien inspirés de se tenir prêts. La question finale plane comme un défi. Qui a décidé que Sonko ne devait pas être candidat en 2029 ? Une interrogation à forte charge politique, qui laissait bruire un non-dit. Le bras de fer continue.
Sidy Diop

