Crise entre Diomaye et Sonko:  Faut-il vraiment miser sur Mimi Touré et Aïda Mbodj dans ce bras de fer politique ?

Crise entre Diomaye et Sonko:  Faut-il vraiment miser sur Mimi Touré et Aïda Mbodj dans ce bras de fer politique ?

La scène politique sénégalaise s’enflamme à nouveau. En confiant à Aminata Touré, dite « Mimi », la direction de la coalition « Diomaye Président », le chef de l’État Bassirou Diomaye Faye a provoqué un séisme politique aux répercussions multiples. Ce choix, qui relègue Aïda Mbodj au second plan, a aussitôt fait ressurgir les lignes de fracture entre le Président et son Premier ministre, Ousmane Sonko, dont les divergences politiques s’exposent désormais au grand jour. Mais derrière ce remaniement symbolique se joue bien plus qu’une question de personnes. C’est toute la cohésion du tandem au pouvoir et la stabilité du projet présidentiel qui sont en jeu.

Selon L’Observateur, la décision du chef de l’État de confier à Aminata Touré la direction de la coalition n’a pas été prise à la légère. Lors du dernier Conseil des ministres, Bassirou Diomaye Faye a tenu à clarifier le sens et la portée de cette décision, assumée « avec le calme et la retenue qu’on lui connaît ». Le Président a rappelé l’historique de la coalition, née dans le sillage de la présidentielle du 24 mars 2024, et a insisté sur la nécessité de restructurer l’entité pour la rendre plus opérationnelle.

Dans une lettre datée du 10 septembre 2025, adressée à Aïda Mbodj, il l’avait déjà invitée à convoquer une réunion de la Conférence des leaders pour passer le témoin à son successeur. Deux mois plus tard, constatant la persistance de la léthargie et des divisions internes, il a choisi de trancher : Aminata Touré, ex-superviseure générale de sa campagne présidentielle, prend la relève.

Une clarification sans Sonko

Ce Conseil des ministres a eu une particularité notable : l’absence du Premier ministre Ousmane Sonko, officiellement en congé pour deux semaines. Une coïncidence qui n’a pas échappé aux observateurs. Le chef de l’État en a profité pour désamorcer les rumeurs selon lesquelles certains membres de son entourage chercheraient à le brouiller avec son Premier ministre.

Mais malgré cette tentative d’apaisement, la tension est palpable. Le communiqué de la coalition « Diomaye Président » annonçant la nomination de Mimi Touré a été vigoureusement contesté par Pastef, le parti fondé par Ousmane Sonko. Le parti a rappelé que « Aïda Mbodj demeure la seule responsable de la coalition », une position réaffirmée par Sonko lui-même lors de son dernier meeting, où il avait laissé entendre que Mimi Touré n’incarne pas l’esprit originel du mouvement.

Mimi Touré, le retour d’une combattante

En confiant ce poste stratégique à Aminata Touré, le président Faye fait un pari risqué mais calculé. L’ancienne Première ministre de Macky Sall n’est pas une novice. Figure connue du paysage politique, Mimi Touré s’est forgé une réputation de femme d’action, déterminée et rigoureuse. Née à Dakar en 1962, elle débute sa carrière au sein des Nations unies avant de rejoindre Macky Sall, dont elle devient la directrice de cabinet puis la ministre de la Justice, avant d’accéder à la Primature en 2013.

Écartée du pouvoir après sa défaite aux locales de 2014, elle connaîtra une longue traversée du désert avant de revenir sur le devant de la scène en 2019 comme présidente du Conseil économique, social et environnemental (CESE). En 2022, candidate à la présidence de l’Assemblée nationale, elle est évincée au profit d’Amadou Mame Diop, un proche du cercle présidentiel de Macky Sall. Ce camouflet marquera sa rupture définitive avec l’ancienne majorité.

Ralliée à l’opposition, Mimi Touré soutient Bassirou Diomaye Faye lors de la présidentielle de 2024, après avoir été recalée de la course. Elle voit en lui le symbole du renouveau et de la justice qu’elle avait défendus dans son passé ministériel. Aujourd’hui, sa nomination consacre à la fois un retour au premier plan et une reconnaissance politique tardive. Mais pour une partie de la base de Pastef, ce choix symbolise une « récupération politique », voire une dérive vers les vieilles pratiques politiciennes que le duo Sonko-Diomaye avait juré d’éviter.

Aïda Mbodj, la lionne blessée

De son côté, Aïda Mbodj, dite « la Lionne du Baol », n’a pas démérité. Cette femme de conviction, née en 1957 à Bambey, incarne depuis plus de deux décennies la pugnacité féminine dans l’arène politique sénégalaise.
Ancienne ministre sous Abdoulaye Wade, elle a occupé plusieurs portefeuilles stratégiques avant de devenir la première femme maire de Bambey. Fine stratège et femme de terrain, elle a su bâtir un solide réseau politique, notamment grâce à son mouvement AND/Saxal Liguey, fondé en 2014.

Lors de la campagne présidentielle de 2024, Aïda Mbodj a joué un rôle crucial dans la mobilisation autour de la coalition « Diomaye Président », notamment dans les bastions du Baol. Son sens de la proximité et sa capacité à fédérer les femmes et les jeunes en ont fait une pièce maîtresse du dispositif électoral.

Mais en politique, la loyauté ne suffit pas toujours. En la remerciant, Bassirou Diomaye Faye a tenu à saluer « son engagement et son dévouement sans commune mesure », tout en soulignant la nécessité d’une nouvelle dynamique. Un message à double tranchant qui sonne pour beaucoup comme une mise à l’écart en douceur.

Une coalition à l’épreuve du pouvoir

La crise qui secoue aujourd’hui la coalition « Diomaye Président » illustre les fragilités inhérentes aux alliances politiques post-électorales. Ce regroupement hétéroclite, né d’un objectif commun – la conquête du pouvoir – peine désormais à définir un mode de gouvernance interne cohérent.

Le président Faye, soucieux de préserver son image de neutralité, a pris soin de rappeler qu’il avait démissionné de Pastef avant son élection, pour garantir une certaine distance institutionnelle vis-à-vis des partis. Or, cette posture est précisément ce que certains proches de Sonko lui reprochent aujourd’hui : trop de distance, pas assez d’alignement.

Sur les réseaux sociaux, les réactions se sont multipliées. Galissa Boully, un responsable de la diaspora de Pastef, a ainsi exprimé ses doutes sur l’authenticité du communiqué présidentiel. « Relisez le texte, les fautes, la conclusion n’a rien à voir avec l’introduction. Le Premier ministre Sonko travaille sous le leadership de Mimy ? Vraiment ? », s’interroge-t-il. Cette déclaration traduit la confusion et la méfiance qui gagnent une partie de la base militante.

Le dilemme Sonko-Diomaye, l’épreuve du duo

Depuis leur accession au pouvoir, le tandem Sonko-Diomaye a incarné une promesse de rupture et de gouvernance concertée. Mais ces dernières semaines, les signaux de friction politique se sont multipliés.

Ousmane Sonko, fidèle à son tempérament direct, continue de défendre une ligne militante et idéologique. Diomaye Faye, de son côté, s’inscrit davantage dans une logique institutionnelle et apaisée. La nomination de Mimi Touré, symbole d’un retour à la realpolitik, cristallise cette différence de styles.

Dans un pays où les cohabitations au sommet ont souvent tourné à la confrontation – de Senghor-Dia à Wade-Idrissa Seck – la situation actuelle ravive les souvenirs d’une histoire politique faite de duos explosifs.

Au fond, la querelle autour de Mimi Touré et Aïda Mbodj n’est peut-être qu’un symptôme d’une divergence plus profonde. Sonko représente le mouvement, la base, la ferveur populaire. Diomaye incarne la stabilité, la continuité et la crédibilité de l’État. En choisissant Mimi, le président Faye semble vouloir professionnaliser la coalition et consolider son autorité. En défendant Aïda Mbodj, Sonko cherche à préserver l’esprit originel du combat politique qui a mené à la victoire.

Une équation à résoudre

Cette crise est-elle passagère ou révélatrice d’un divorce politique en gestation ? Pour l’instant, aucun des deux leaders n’a franchi la ligne rouge. Le président n’a pas évoqué de dissension avec son Premier ministre et Sonko, malgré ses piques, n’a pas remis en cause leur partenariat.

La question n’est pas de savoir si Mimi Touré ou Aïda Mbodj « en valent la chandelle », mais plutôt si le duo Diomaye-Sonko saura dépasser les egos et les loyautés concurrentes pour préserver le cap du changement promis aux Sénégalais.

El FAYE

administrator

Related Articles

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *