Dans sa récente analyse, le Dr Seydou Kanté dresse un constat alarmant sur la situation du Mali à la mi-2025. Selon lui, le pays vit « sous un embargo djihadiste sans précédent », imposé par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), affilié à Al-Qaïda. Depuis septembre, le JNIM multiplie les attaques contre les convois de carburant destinés à Bamako, provoquant une asphyxie économique et sociale de la capitale.
Le chercheur décrit une capitale en état de siège logistique : des camions-citernes attaqués à quelques kilomètres de Kati, des stocks d’essence détruits, une population livrée à la débrouille et un marché noir florissant où le carburant s’échange « à prix d’or ». Bamako, autrefois centre du pouvoir, est devenue selon Kanté « une ville en survie, coupée de ses artères économiques ».
Le Dr Kanté interprète cette évolution comme un tournant stratégique majeur : « Le djihadisme malien a franchi une étape. Il ne cherche plus seulement à conquérir des territoires, mais à étrangler économiquement l’État. » En ciblant les infrastructures vitales — carburant, ravitaillement, logistique —, le JNIM s’attaque au cœur même de la souveraineté nationale.
Un vide diplomatique qui nourrit le chaos
Pour le Dr Seydou Kanté, le retrait progressif des partenaires occidentaux a aggravé la vulnérabilité du Mali. « L’isolement diplomatique de Bamako traduit la perte de confiance de la communauté internationale dans la capacité du régime à contrôler la situation », observe-t-il. Après les États-Unis, l’Italie et l’Allemagne ont rappelé leurs ressortissants, marquant un désengagement progressif.
Dans ce vide sécuritaire et diplomatique émerge, selon Kanté, une nouvelle génération de chefs djihadistes, plus mobiles et plus stratèges. Il cite notamment Diarra N., un ancien combattant local devenu « cerveau opérationnel » du JNIM. Issu des régions de Nara et de Diéma, Diarra N. incarne, selon lui, « la mutation du djihadisme sahélien : un mouvement capable de combiner guerre de mouvement et guerre économique ».
Kanté précise que ce nouveau leader a compris que « la domination passe désormais par le contrôle des flux ». En s’appropriant les corridors logistiques reliant le centre du Mali aux zones frontalières du Sénégal et de la Mauritanie, Diarra N. cherche à priver Bamako de son oxygène économique tout en renforçant les réseaux transfrontaliers du JNIM.
Le repli de l’État et la recomposition du pouvoir territorial
« Le Mali n’est plus un État failli, c’est un État fragmenté », affirme le Dr Kanté. Il rappelle que la désorganisation du commandement militaire et l’épuisement des forces armées, déjà affaiblies par les sanctions internationales, ont laissé des pans entiers du territoire aux groupes armés.
Kanté souligne que cette situation n’est pas un accident, mais le résultat d’une recomposition du pouvoir sahélien. Dans son ouvrage La géopolitique du Sahel, il expliquait déjà que les groupes armés, communautaires et religieux redéfinissent les formes locales de souveraineté. Ils collectent l’impôt islamique (zakât), régulent les échanges commerciaux et assurent parfois la sécurité.
Le cas de Diarra N. illustre, selon Kanté, cette rationalité politique du djihadisme. « Nous ne sommes plus face à des chefs de guerre, mais face à des gestionnaires de guerre. Leur but n’est plus la victoire militaire immédiate, mais l’épuisement économique de l’État central », souligne-t-il. Cette stratégie d’usure, centrée sur le contrôle des flux, place le Mali dans une guerre sans front, où la logistique est devenue le champ de bataille principal.
Le Sénégal, une stabilité sous tension
Pour le Dr Seydou Kanté, le Sénégal représente aujourd’hui « un îlot de stabilité au cœur d’un Sahel fracturé ». Toutefois, il alerte sur les risques de débordement djihadiste liés à la proximité géographique avec les foyers maliens. Les incidents récurrents dans la région de Kayes et à Diboli sont, selon lui, « les signaux avant-coureurs d’une contagion potentielle ».
Le dispositif sénégalais, note Kanté, repose sur « un triptyque efficace : renseignement communautaire, coordination interarmées et diplomatie préventive ». Dakar a renforcé sa présence militaire à l’Est — autour de Kidira, Matam et Kédougou —, tout en multipliant les patrouilles conjointes avec les pays limitrophes.
Mais le Dr Kanté insiste : « Le Sénégal doit comprendre que la menace n’est plus seulement militaire. Le djihadisme d’aujourd’hui s’attaque aussi à l’économie. » Les récentes attaques contre des camions-citernes à Diboli témoignent d’une stratégie de pression économique transfrontalière, inspirée directement du modèle appliqué au Mali.
Le chercheur met en garde. Si le Mali s’enlise, « les zones frontalières sénégalaises deviendront les tampons d’un djihadisme en quête de repli ». Pour l’instant, la cohésion sociale et la confiance institutionnelle permettent au Sénégal de résister, mais cette stabilité reste « sous tension géopolitique ».
Dans tous les cas, avertit-il, « la clé de la stabilité ou du chaos dans le Sahel occidental se trouve aujourd’hui à Bamako ». Le Dr Seydou Kanté esquisse trois scénarios d’avenir pour le Sahel occidental, en fonction de l’évolution de la situation sécuritaire au Mali.
Dans le premier scénario, celui d’une maîtrise relative, le Mali parviendrait à freiner l’expansion du JNIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) grâce à un regain d’efficacité militaire ou à des avancées diplomatiques. Dans ce cas, le Sénégal, bénéficiant d’un dispositif préventif solide, réussirait à maintenir le contrôle de sa frontière orientale et à éviter toute incursion djihadiste significative.
Le deuxième scénario, celui de la porosité, se caractériserait par une aggravation du chaos au Mali, accompagnée d’une intensification des trafics et de la contrebande dans la région. Face à cette situation, le Sénégal serait contraint de renforcer son dispositif sécuritaire à l’Est, ce qui pourrait entraîner, selon le Dr Kanté, une fatigue sécuritaire et budgétaire pour Dakar.
Enfin, le troisième scénario, qualifié de contagion régionale, évoque l’éventualité d’un effondrement total du Mali. Dans cette hypothèse, les zones frontalières du Sénégal, de la Mauritanie et de la Guinée deviendraient des refuges pour les groupes djihadistes. Le Dr Kanté compare alors ce processus à un effet domino, rappelant la théorie de Kissinger sur la propagation de l’instabilité à l’échelle régionale.
Le Sénégal, dernier rempart du Sahel
Selon le Dr Seydou Kanté, la crise malienne illustre l’évolution du djihadisme sahélien vers une guerre d’asphyxie. « La violence n’est plus seulement physique ; elle est économique. Le carburant, les flux et la peur sont devenus des armes de pouvoir. »
Cette transformation impose aux États sahéliens une refonte complète de leur doctrine sécuritaire. Pour le Sénégal, cela signifie renforcer la surveillance des réseaux économiques, anticiper les ruptures d’approvisionnement et intégrer la dimension économique dans la lutte contre le terrorisme.
Kanté note que « la guerre au Sahel n’est plus celle des armes, mais celle des flux ». Le contrôle des corridors, des ressources et de la logistique devient l’enjeu central d’une géopolitique où l’État perd progressivement le monopole de la souveraineté. Dr Seydou Kanté conclut que le Sénégal « incarne encore la stabilité, mais une stabilité sous tension ». Le pays doit désormais se préparer à un environnement où la guerre économique, la pression frontalière et les effets de contagion régionale redessinent les équilibres du pouvoir.
El Hadji Ibrahima FAYE

