Monsieur le Ministre,Le récent communiqué sur l’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans le système éducatif sénégalais, en ligne avec la Stratégie du Numérique pour l’Éducation 2025-2029 (SNE 25-29), marque une étape importante.
Comme le soulignait le scientifique Andrew Ng, « L’IA est une force de transformation aussi puissante que la machine à vapeur ou l’électricité. » Vos propos sur la modernisation de l’éducation face aux transformations mondiales sont ambitieux et louables. Les actions concrètes mentionnées, telles que la formation continue des enseignants et la distribution de 5 000 ordinateurs portables aux élèves de 1ère et Terminale S1/S3, attestent de cette volonté.Néanmoins, certains points du communiqué m’inspirent des interrogations, notamment en ce qui concerne *les défis d’équité et d’accès.*
La dotation en ordinateurs est limitée aux filières scientifiques, ce qui peut créer un sentiment d’exclusion pour les élèves des autres filières. Suggérez-vous que l’IA est une exclusivité du domaine scientifique ? Il est pourtant évident qu’elle est en train de révolutionner d’autres disciplines, comme la géographie. À titre d’exemple, restons dans le factuel et l’actuel en même temps, l’IA joue un rôle crucial dans la prévision des inondations, un défi actuel au Sénégal. Des algorithmes exploitent des données météorologiques et topographiques pour anticiper les crues et déclencher des systèmes d’alerte précoce.Il est donc essentiel de se demander pourquoi les élèves des filières littéraires ne bénéficieraient pas de ces mêmes opportunités. En tant que futurs décideurs, ils devront également être préparés à utiliser ces outils pour relever les défis de demain, chacun dans leur domaine respectif.Un autre point de perplexité est *l’absence de plan de connectivité* .
Le communiqué renvoie à la SNE 25-29 sans préciser la stratégie du ministère pour garantir l’accès à internet. Sans une connectivité fiable, l’utilisation de l’IA dans les zones rurales risque d’être limitée, ce qui creuserait inévitablement la fracture numérique entre les zones urbaines et rurales. Ayant servi au lycée Guiro Yero Bocar de Kolda, je peux témoigner que de nombreux professeurs remplissent leur cahier de texte numérique sans connexion internet dans leur établissement. _Comment peut-on alors envisager l’intégration de l’IA sans un plan concret pour le substrat même de son utilisation ?_ Dans cet ordre d’idée, sur le plan de la formation et de l’éthique, le communiqué mentionne que « l’IA ne remplacera pas les enseignants », ce qui est un truisme. Si l’effort de former 105 000 enseignants est admirable, une question cruciale demeure : quelle stratégie est mise en place pour la formation des futurs enseignants à la FASTEF ou à la SEFS ?
Les formateurs eux-mêmes sont-ils prêts à intégrer l’IA dans leurs départements respectifs pour optimiser la qualité de l’enseignement ? Quelle stratégie a été mise en place pour celà ? Je salue la volonté d’encadrer l’usage de l’IA, un point crucial face aux nouvelles formes de tricherie. Sam Altman, PDG d’OpenAI, le rappelait : » _L’IA générative est un outil qui peut être utilisé pour le bien ou le mal_ . » L’éducation est un système où tous les acteurs sont interdépendants. L’encadrement doit être une réponse systémique qui implique les parents d’élèves.
C’est pourquoi je me permets de vous soumettre l’idée de mettre en place un programme de sensibilisation pour les parents, via les Amicales des Parents d’Élèves (APE), afin qu’ils puissent guider leurs enfants dans une utilisation éthique de l’IA.Ma démarche se veut constructive, et je suis convaincu, comme l’a dit l’écrivain André Gide, que « la critique constructive est le ciment du progrès : elle corrige avec exigence, mais toujours au service de l’excellence. »Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de mes salutations respectueuses.
Mohamed Ndiaye
Professeur d’Histoire et de Géographie au Lycée Ex-CEM Alboury Ndiaye (Linguère)