L’Afrique vit un paradoxe inquiétant : malgré des financements croissants destinés aux PME et aux startups, plus de 70 % d’entre elles disparaissent dans les cinq premières années (BAD, 2023 ; OIT, 2022). Les causes sont connues : manque d’expérience en gestion, absence de gouvernance structurée, difficultés d’accès aux marchés et isolement des jeunes promoteurs.
Dans un continent où plus de 60 % de la population a moins de 25 ans, ce constat est alarmant. Les jeunes Africains regorgent de créativité et d’audace, mais se retrouvent souvent livrés à eux-mêmes face à la complexité du monde des affaires.
Un capital humain sous-utilisé
À l’autre extrémité du spectre démographique, l’Afrique dispose d’un capital humain inestimable : celui des Seniors et retraités expérimentés. Anciens dirigeants de banques, cadres d’institutions internationales, entrepreneurs, ingénieurs et diplomates, ces profils possèdent une expertise accumulée pendant des décennies, une mémoire institutionnelle et des réseaux précieux. Pourtant, leur rôle reste marginal dans les politiques de soutien aux PME.
Ces Seniors pourraient devenir des piliers du succès entrepreneurial africain, en offrant mentorat, encadrement et assistance technique aux jeunes pousses et aux PME.
Des modèles internationaux inspirants
Le recours aux Seniors comme mentors n’est pas une idée nouvelle.
– En Allemagne, le Senior Expert Service (SES) mobilise plus de 12 000 retraités pour accompagner des entreprises dans 160 pays.
– En France, l’association ECTI regroupe 2 500 bénévoles experts.
– Aux États-Unis, le programme SCORE, appuyé par la SBA, a contribué à la survie de milliers de PME.
– En Asie, Japon et Corée du Sud ont institutionnalisé les « Silver Experts » dans les politiques industrielles et technologiques.
Ces exemples montrent que la transmission intergénérationnelle est un facteur décisif de compétitivité et de durabilité.
Des initiatives africaines prometteuses
L’Afrique n’est pas en reste.
– Au Maroc, la CGEM et l’ASMEX associent des experts seniors aux programmes d’exportation.
– En Tunisie, le projet Souk At-Tanmia a mobilisé des mentors expérimentés pour encadrer des startups innovantes.
– En Côte d’Ivoire, le Club des Dirigeants organise des échanges entre générations.
– Au Sénégal, d’anciens banquiers appuient aujourd’hui des fintechs locales.
– Au Rwanda, des ingénieurs retraités collaborent avec les parcs technologiques de Kigali pour accompagner les jeunes pousses industrielles et technologiques.
– Au Kenya, plusieurs incubateurs (comme iHub et Nailab) font appel à des anciens managers et experts seniors pour renforcer les capacités des jeunes entrepreneurs dans le numérique et l’agro-industrie.
– En Afrique du Sud, la SAB Foundation et d’autres programmes de transformation économique intègrent systématiquement des mentors seniors pour encadrer les jeunes entrepreneurs noirs et renforcer leur gouvernance.
Ces initiatives existent, mais restent fragmentées et non systématisées.
AMSCO : un modèle à revisiter
Dans les années 1980, la BAD avait lancé une initiative pionnière avec la création d’AMSCO (African Management Services Company), basée aux Pays-Bas. Sa mission : fournir une assistance technique et managériale aux entreprises africaines, en particulier publiques, pour les remettre à flot.
AMSCO a démontré que l’assistance technique est aussi cruciale que le financement. Ce modèle, axé sur le capital humain et la mise à disposition d’experts, constitue une source d’inspiration à revisiter pour répondre aux défis actuels des PME africaines.
Une recommandation stratégique : réserver 5–7 % aux Seniors
Il est temps que les banques commerciales et les banques de développement franchissent un cap décisif : inclure, dans tous leurs programmes d’appui aux PME, une composante obligatoire intitulée « Appui institutionnel et assistance technique », spécifiquement dédiée à la mobilisation des Seniors qualifiés.
De façon pragmatique, une allocation de 5 à 7 % du montant total des financements devrait être réservée à ce mentorat senior.
– Ce pourcentage est suffisamment significatif pour garantir un encadrement de qualité, mais reste réaliste pour ne pas alourdir le coût global.
– Pour les financements de petite taille (microcrédits, TPE), un mécanisme mutualisé ou un fonds centralisé pourrait être envisagé.
– Cette approche s’aligne sur les bonnes pratiques internationales : SCORE aux États-Unis (3–5 %), SES en Allemagne (financement mixte bailleurs/entreprises), AMSCO dans les années 80 (assistance technique cofinancée).
Une telle mesure permettrait de réduire la mortalité des PME, d’améliorer leur gouvernance et d’assurer la transformation des financements en emplois durables.
Vers un pacte intergénérationnel entrepreneurial africain
La solution passe par un pacte intergénérationnel entrepreneurial. Les jeunes apportent l’énergie, l’innovation et le courage ; les Seniors, l’expérience, la vision et les réseaux. Ensemble, ils peuvent créer des entreprises plus solides, plus compétitives et plus durables.
L’Afrique a l’opportunité unique de transformer son potentiel démographique en avantage économique. Mais pour y parvenir, il faut changer de paradigme : ne plus se contenter de financer, mais accompagner.
En mobilisant ses Seniors et en s’inspirant de l’expérience d’AMSCO, le continent peut bâtir un modèle original de développement, fondé sur la coopération intergénérationnelle. Ce modèle pourrait faire de l’Afrique un pionnier mondial dans l’art de conjuguer jeunesse et expérience au service du développement durable.