Le 3 août 2025 à Kaolack, la commémoration de la Journée nationale de l’arbre a été perturbée par une dispute importante entre deux personnalités importantes de l’administration locale : le préfet Latyr Ndiaye et le maire de la ville, Serigne Mboup. L’événement, enregistré en vidéo et abondamment partagé sur les médias sociaux, a créé un choc dans l’opinion et révélé les tensions constantes entre la présence de l’État et l’autonomie locale au Sénégal. L’origine du désaccord résidait dans des interprétations opposées de l’organisation d’une cérémonie officielle et surtout dans des visions différentes de l’autorité locale incarnées par des acteurs institutionnels dont les rôles sont clairement définis mais parfois sources de conflits.
La célébration de la Journée nationale de l’arbre à Kaolack était prévue en deux phases. Premièrement, la mairie avait programmé une opération importante. Il s’agit de la mise en terre de 20 000 plants de mangroves sur la côte et la distribution de 50 000 jeunes arbres fruitiers aux habitants. Cette action, d’après le maire Serigne Mboup, s’inscrivait dans une politique environnementale à long terme soutenue par la ville en collaboration avec les services techniques municipaux et les services des Eaux et Forêts. Simultanément, une autre activité plus modeste était organisée dans le quartier de Touba Ndorong, par une association appelée « Bokk Kaolack », avec le soutien logistique et la présence officielle du préfet Latyr Ndiaye, représentant de l’État. Cette initiative, qui consistait à planter 30 arbres, aurait été validée par l’autorité préfectorale au préalable bien que le responsable local ait exprimé des doutes sur sa justification et sa clarté.
D’après la version du préfet, l’association l’a contacté, et il aurait approuvé l’activité après en avoir informé les services techniques de l’État, notamment les Eaux et Forêts. Le maire aurait initialement donné son accord oral, avant de se désister au dernier moment pour des raisons politiques, considérant que l’activité était menée par ses opposants. Le jour prévu, alors que le représentant de l’État dirigeait la cérémonie de reboisement à Ndorong, le maire Serigne Mboup est arrivé sur les lieux, accompagné de collègues, pour critiquer ce qu’il percevait comme une tentative de contourner l’initiative municipale. C’est alors qu’un désaccord a éclaté. Le préfet, selon ses propres déclarations, a ordonné au maire de « dégagé » une demande que ce dernier a refusée catégoriquement, dénonçant une atteinte à son statut d’élu du peuple. La scène enregistrée par des témoins montre un maire en colère s’adressant au représentant de l’État devant les forces de l’ordre et des citoyens surpris.
Déconcentration versus décentralisation : un conflit structurel
L’altercation verbale met en lumière un désaccord structurel plus important entre deux échelons de l’administration. Le préfet, représentant de l’État au niveau départemental, a pour mission de vérifier la conformité légale des actions des administrations locales et de garantir la sécurité publique. Il met en œuvre les directives du gouvernement central et le représente dans sa zone géographique. Le maire, quant à lui, est un responsable local élu par la population pour gérer une entité juridique autonome : la commune. Il possède des attributions spécifiques en matière de gestion des affaires locales et bénéficie du principe d’autonomie administrative des collectivités territoriales. Cette différence est au centre du problème. En refusant de retirer une autorisation donnée par le maire, le préfet agit conformément à son rôle de représentant de l’État. Cependant, en demandant à un élu local de « dégager » d’un lieu public où il exerçait son autorité symbolique et politique, le préfet semble avoir dépassé les limites du respect dû à un représentant du peuple.
Les réactions en chaîne
L’événement a rapidement suscité une vive polémique en ligne,provoquant une multitude de commentaires. L’Association des maires du Sénégal (AMS) dans une déclaration officielle résolue, a jugé l’événement « scandaleux et sérieux » condamnant une « conduite offensante et irrespectueuse » envers un maire. Elle considère cela comme « une atteinte à la dignité des représentants locaux et plaide pour une amélioration de la considération accordée à leur rôle, conformément aux principes de la décentralisation ».
En réponse, l’Amical des administrateurs civils du Sénégal (AACS)a soutenu l’attitude du représentant de l’État, tout en exprimant son regret face à l’incident. Elle a rappelé que celui-ci en tant que représentant du chef de l’État bénéficie d’une protection légale contre les insultes. Selon ce regroupement, « le maire aurait intentionnellement perturbé une activité autorisée et causé un trouble inacceptable de l’ordre public ». Malgré cet échange de déclarations officielles, les tensions se sont atténuées dans l’après-midi, grâce à l’intervention de Serigne Mahi Niasse. Les deux hommes ont été vus se serrant la main, signe visible d’un apaisement bien que les tensions sous-jacentes restent perceptibles.
Quelle limite au pouvoir du préfet ?
En règle générale, le préfet, représentant de l’État ne peut pas donner d’instructions directes au premier magistrat de la commune, le maire, lorsqu’il agit dans son domaine de responsabilité. Son rôle est principalement de vérifier la conformité des actions municipales après qu’elles aient été prises. Il ne peut ni invalider ni bloquer une décision légitime du maire, sauf si la loi le permet explicitement. Cependant, d’après l’avis de Daouda Diouf, juriste, « en enjoignant au maire de partir, le représentant de l’État a supplanté un élu, ce qui pourrait être perçu comme un excès de pouvoir de la part de l’administration ». Le maire doit aussi tenir compte des pouvoirs du représentant de l’État concernant la sécurité publique. Si sa participation risquait de perturber le déroulement correct d’une cérémonie validée par l’administration préfectorale, une discussion apaisante serait plus appropriée qu’une confrontation.
Le Code général des collectivités territoriales à l’épreuve
Le Code général des collectivités territoriales (CGCT) établit un cadre réglementaire précis, qui peut cependant devenir flou face aux tensions émotionnelles et aux dynamiques de pouvoir. L’article 3 du CGCT stipule que : « Les collectivités territoriales exercent leurs compétences de manière autonome par l’intermédiaire de conseils élus ». « L’article 12 indique que « le représentant de l’État est responsable de la conformité aux lois, mais ne peut interférer dans les attributions propres des collectivités, sauf en situation de perturbation évidente de l’ordre public ».
Dans ce cas particulier, le préfet aurait pu signaler l’intervention du maire à l’autorité supérieure, ou même saisir le tribunal administratif en cas de problème. Cependant, l’ordre public prononcé à l’encontre d’un maire élu de « dégager » sort du cadre juridique et relève d’un conflit personnel. L’incident de Kaolack n’est pas un simple écart de conduite. Il met en lumière un déséquilibre sous-jacent entre deux niveaux de pouvoir dont les responsabilités sont fréquemment mal interprétées, voire utilisées à des fins personnelles. Ainsi, il devient nécessaire d’amorcer une réforme fondamentale des rapports entre les autorités administratives et les élus locaux, alors que le Sénégal examine l’étape IV de sa décentralisation.
el faye