REFONDER L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR : POUR UNE MÉTAMORPHOSE DURABLE ET CRÉATRICE

REFONDER L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR : POUR UNE MÉTAMORPHOSE DURABLE ET CRÉATRICE

Un système d’enseignement digne de ce nom ne peut être statique. Il est, par essence, mouvement, transformation, adaptation. Car sa mission originelle est de nous armer pour apprendre, comprendre, transmettre et recalibrer notre vécu au fil des mutations sociales, scientifiques et culturelles.

Refonder l’enseignement supérieur, c’est donc oser une métamorphose durable et continue. C’est aussi accepter que progresser, ce n’est pas seulement accumuler des diplômes, mais surtout faire autrement, faire mieux, avec plus de sens, en mobilisant les ressources de notre génie créateur.

À ce titre, je tiens à saluer la volonté politique actuelle de réinventer un modèle d’enseignement supérieur aligné sur nos réalités, nos ambitions et les exigences du siècle: un modèle qui ne copie pas, mais qui crée, qui ne répète pas, mais qui pense, qui ne se limite pas à diplômer, mais qui prépare à transformer.

Puisque la parole est libre, je souhaite livrer ici, en toute humilité et lucidité, quelques pistes de réflexion sur cette nécessaire refondation:

1. Lire notre époque pour mieux l’enseigner

La première exigence est celle du décryptage des enjeux du présent et de l’avenir, à l’échelle nationale, régionale et mondiale. Une université déconnectée de son époque devient un sanctuaire sans foi ni savoir. Le monde change vite : climat, IA, souverainetés économiques, migrations, ruptures sociales… Sommes-nous prêts à l’enseigner avec pertinence ?

2. Repenser l’écosystème universitaire

L’université ne repose pas sur les murs mais sur les femmes et les hommes qui la font vivre : enseignants, apprenants, personnels administratifs, autorités de tutelle, partenaires, et même usagers indirects du savoir. Il est temps d’en faire l’anatomie fonctionnelle, d’en mesurer la physiologie et d’en tirer les enseignements utiles pour un pilotage intelligent et équitable.

3. Quelle valeur pour nos universités ?

De l’indépendance à nos jours, quelle a été l’évolution de la valeur marchande, symbolique et stratégique de nos universités ? Nos établissements sont-ils encore attractifs ? Pour nos jeunes ? Pour nos chercheurs ? Pour nos partenaires ? La réponse à cette question conditionne l’avenir même de notre enseignement supérieur.

4. Quelle productivité scientifique ?

La recherche universitaire est-elle productive, pertinente, visible ? Sur quels critères l’évaluer ? Nombre de publications indexées ? Taux de citation ? Transfert de technologie ? Impact sociétal ?

Si nous voulons parler d’excellence, il faut aussi accepter de mesurer l’impact potentiel et reel de la recherche sur le développement socio-economique du pays.

5. Plus de professeurs, meilleure formation ?

Peut-on établir une corrélation directe entre le nombre de professeurs titulaires et la qualité de la formation ?

Rien n’est moins sûr. Car la qualité d’un enseignement ne tient pas seulement à la titulature, mais aussi à la pédagogie, à l’innovation didactique, à la disponibilité et à la passion transmise.

6. Massification vs qualité : un équilibre à inventer

La démocratisation de l’accès à l’université est une avancée. Mais comment concilier massification et exigence de qualité ?

Voilà un dilemme auquel toutes les nations font face. Le Sénégal n’y échappe pas. Il nous faut créer des mécanismes souples, inclusifs, et qualitatifs à la fois.

7. Des programmes à repenser

Nos programmes d’enseignement répondent-ils encore aux besoins réels de la société sénégalaise ?

Le lien entre formation et insertion professionnelle est souvent ténu. Une refonte des curricula, ancrée dans le dialogue avec les secteurs productifs, s’impose.

8. Cohérence entre les cycles

Une université ne peut exister pleinement sans une articulation fluide avec l’enseignement préscolaire, primaire et secondaire. Il est temps de penser l’éducation comme un tout, un continuum structuré et cohérent.

9. Fuite des cerveaux : comment inverser la tendance ?

Nos meilleurs étudiants s’expatrient, souvent sans retour. La fuite des cerveaux est une hémorragie silencieuse mais lourde de conséquences. Il nous faut élaborer des incitations fortes à la rétention, au retour, ou au partenariat avec la diaspora intellectuelle.

10. Sciences et technologie : relever le défi de l’attractivité

Le monde de demain se construira sur la science, les mathématiques, la technologie. Pourtant, les filières scientifiques peinent à attirer. Comment les rendre plus séduisantes, plus accessibles, plus ancrées dans la réalité sociale ?

11. Excellence féminine et leadership universitaire

Les filles arrivent brillamment dans nos universités mais rencontrent trop vite le plafond de verre. Comment créer les conditions de leur réussite durable, de leur maintien et de leur leadership dans les filières stratégiques ?

12. Évaluer les enseignants autrement

Ne devrait-on pas intégrer davantage, dans cette évaluation, leur impact social, leur ouverture au monde, leur engagement communautaire ? La qualité de leurs réponses aux problèmes sociétaux?

13. Le faible taux de réussite : un signal d’alarme

Enfin, il nous faut comprendre les raisons profondes du faible taux de réussite universitaire : orientation inadéquate ? encadrement insuffisant ? méthodes pédagogiques dépassées ? précarité étudiante ? Ce diagnostic est urgent et vital.

Ces treize interrogations ne prétendent pas à l’exhaustivité. Elles se veulent plutôt des repères pour une réflexion collective, des jalons pour une transformation lucide de notre enseignement supérieur.

Refonder, c’est plus qu’un mot. C’est une responsabilité historique. Car en vérité, refonder l’université, c’est refonder la Nation. C’est choisir l’intelligence, la rigueur, la vision comme leviers de souveraineté.

Je salue la forte volonté politique pour une bonne prise en charge de cette problématique et me réjouis de la désignation du Professeur Boubacar Diop, comme coordonnateur.

Pleins succès !

Par Dr Papa Abdoulaye Seck

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