Alors que les tensions entre l’Iran et Israël s’intensifient, les échos du conflit résonnent jusque dans les quartiers populaires de Dakar. Entre inquiétudes économiques, indignation morale et appels à la paix, la population sénégalaise exprime sa vive préoccupation face à une guerre qui, bien que géographiquement lointaine, impacte son quotidien et ravive des sentiments d’injustice internationale.
Les allées centenaire, u milieu des étals de légumes, de poissons frais et de fruits de saison, l’atmosphère semble ordinaire. Mais derrière les salutations rituelles et les cris des vendeurs, un mot revient dans presque toutes les conversations : Iran. Assise sur un tabouret de fortune, Mbaye Diagne, un marchand de tissus d’une quarantaine d’années, ne cache pas son inquiétude. « J’ai entendu à la radio ce matin que des avions israéliens ont encore bombardé. Ils veulent vraiment une guerre mondiale ou quoi ? Moi, je ne comprends pas tout ça, mais je sais que quand les grandes puissances se battent, ce sont les pauvres qui souffrent », s’inquiète-t-il.
À côté, son voisin Alpha, vendeur de chaussure, acquiesce : « Regarde déjà les effets de la guerre d’Ukraine se fait encore ressentir sur le quotidien des sénégalais. On nous dit encore qu’une autre guerre est déclenchée entre l’Iran et l’Israël. Les israéliens font ce qu’ils veulent au mépris des civils »
Une colère profonde
Dans les quartiers populaires de la Médina la nouvelle des frappes israéliennes a circulé rapidement via les réseaux sociaux. Chez beaucoup, la réaction est mêlée d’incompréhension, de colère et d’un sentiment de déjà-vu. Ibrahima, 29 ans, réparateur de motos à Colobane. La géopolitique, il en sait quelques informations. « On est fatigués de voir des peuples musulmans se faire attaquer, et le monde ne dit rien. Quand c’est l’Ukraine, toute l’Europe pleure. Mais quand c’est l’Iran, ou avant la Palestine, c’est silence radio », déplore-t-il. Selon lui, « l’Iran a le droit absolu l’Energie nucléaire »
Awa Mané, étudiante en licence de sociologie à l’UCAD, croisée à l’arrêt de bus sur l’avenue blaise Diagne voit que « l’Iran est un pays attaqué sans que personne ne rende des comptes ». « Et c’est toujours Israël qui se sent au-dessus des lois. C’est inadmissible. », fustige-t-elle. A ses yeux, « Donald Trump s’est laissé manipulé ». « Il a milité pour la paix et aujourd’hui il soutient l’agresseur. Il m’a deçu », dit-elle.
Les réseaux sociaux comme caisse de résonance
Depuis les premiers bombardements, des captures d’écran de journaux internationaux, des vidéos TikTok explicatives et des messages de solidarité affluent. Sur Facebook, des publications virales affichent des drapeaux iraniens mêlés au croissant de l’islam. Une image revient souvent : celle d’un enfant ensanglanté sous les décombres, accompagnée de la légende pour rappeler le génocide à Gaza. Lamine Diaw, 21 ans, livreur de repas à scooter se dit choquer « par le spectacle désolant qui se déroule actuellement ». « Moi je suis toujours sur mon téléphone. J’ai vu des vidéos qui m’ont choqué. Même si on ne comprend pas toute la politique, les images parlent. Et moi je ne peux pas rester indifférent », dit-il d’un ton triste.
À la sortie de la grande mosquée de Massalikoul Jinaan, un fidèle, Babacar Mbaye, nous confie : « On prie pour la paix, mais on ne peut pas se taire quand des innocents meurent. Ce que fait Israël, ce n’est pas juste. Et l’Occident ne dit rien parce qu’il a peur ou parce qu’il s’en fiche. »
À Niarry Tally, les discussions tournent autour de la légitimité de la riposte iranienne. Dabakh, un militant panafricaniste compare la situation actuelle à la guerre du Golfe ou aux bombardements en Libye. « C’est toujours la même histoire. Un pays veut se défendre, et on l’accuse d’être une menace. Et ce sont les plus faibles qui en paient le prix », résume-t-il.
L’économie, première victime collatérale
Dans les gares routières et les stations-service, on parle désormais de « guerre » comme d’un facteur économique. Avec l’implication des Etats-Unis, la République Islamique risque de bloquer le détroit d’Ormuz, un point stratégique pour le passage du pétrole exporter par les pays du Golfe Persique. Le litre de carburant risque d’augmenter. Cheikh Fall, chauffeur de taxi est sceptique. « J’achète du carburant tous les deux jours. Si ça monte encore, je vais devoir augmenter le prix ou arrêter », se limite-t-il à dire. Le lien entre un conflit à des milliers de kilomètres et le quotidien sénégalais semble abstrait, mais pour les plus modestes, il est douloureusement réel, rappelle Mr Diouf, un retraité, bien concentré à lire son journal.
Des voix pour la paix
Malgré la colère, beaucoup appellent à la paix et à la retenue. A Grand-Dakar, un vieux menuisier lit le Coran à voix haute après la priére de Tisbar. Il nous dit simplement. « Je prie pour que les cœurs s’adoucissent. Car si l’Iran et Israël entrent dans une grande guerre, c’est le monde entier qui va pleurer, notamment nous les musulmans », dit-il
À la lumière des frappes massives menées conjointement par les États-Unis et Israël contre des installations nucléaires iraniennes, le Dr Ibrahima Dabo, spécialiste de la Russie et des relations internationales, propose une lecture historique et stratégique de cet épisode sous tension. Selon lui, cette opération militaire, lancée sans mandat explicite de l’ONU, ravive les souvenirs d’une époque marquée par l’unilatéralisme occidental.
« En agissant ainsi, les États-Unis et Israël s’arrogent le droit d’intervenir en dehors du droit international »
« Cette intervention s’inscrit dans la continuité d’une logique que l’on a connue au lendemain de la Guerre froide », explique Dr Dabo. « Une période qu’on appelle l’unipolarité, durant laquelle les États-Unis agissaient comme les « gendarmes du monde », avec une suprématie incontestée sur la scène internationale. » Il rappelle à cet effet deux précédents emblématiques : les bombardements contre la Serbie en 1999 et la guerre en Irak en 2003, tous deux réalisés sans aval du Conseil de sécurité de l’ONU.
L’attaque actuelle contre l’Iran, qui vise notamment des sites sensibles liés à son programme nucléaire à Ispahan et Fordow, selon les sources officielles, serait une réponse préventive aux menaces croissantes perçues par Washington et Tel-Aviv. Mais pour le chercheur, elle soulève aussi une série d’interrogations : « En agissant ainsi, les États-Unis et Israël s’arrogent le droit d’intervenir en dehors du droit international, au nom de leur propre vision. Cela rappelle les méthodes de la période unipolaire, même si aujourd’hui le contexte est différent. »
Dr Dabo note également une évolution dans l’équilibre des forces : « Le monde d’aujourd’hui n’est plus totalement unipolaire. Des puissances comme la Russie ou la Chine contestent cette hégémonie. Mais ce type d’intervention montre que certains acteurs occidentaux continuent à privilégier l’usage unilatéral de la force, parfois au mépris du consensus international. »
El FAYE