Ils sont convaincus, voire catégoriques : l’avenir du monde, surtout celui de l’Afrique, ne repose pas sur les énergies fossiles. Cette vision, les activistes, militants ou défenseurs des communautés venus des quatre coins du continent y croient dur comme fer. Le temps d’une rencontre à Dakar, ils ont partagé le calvaire que vivent les communautés à cause de l’exploitation des ressources en hydrocarbures dans leurs pays respectifs. Francophones ou anglophones, ils déplorent ses conséquences néfastes sur la vie des populations locales.
Comment sortir des entraves des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) ? Une rencontre africaine pour répondre à cette question s’est tenue en terre sénégalaise. Le choix du pays pour accueillir cet événement n’est pas fortuit. Le Sénégal, un novice dans le cercle des pays producteurs, a déjà cumulé 25,79 millions de barils de pétrole du champ de Sangomar (du 2 juin 2024 au 31 mars 2025), tandis que le gisement au large de Saint-Louis, à la frontière avec la Mauritanie, a exporté sa toute première cargaison de GNL (Gaz Naturel Liquéfié). Les gouvernements des deux pays voisins ont souligné qu’il s’agissait d’« une étape décisive dans le développement du projet Grand Tortue Ahmeyim (GTA) ». Mais les communautés, quant à elles, continuent de redouter leur sort.

« Imaginez une exploitation sur 25, voire 30 ans : après seulement quelques mois, il y a déjà une fuite de gaz », s’interroge Fama Sarr, une femme transformatrice de produits de la mer. Cet incident dont parle la secrétaire adjointe du Conseil Local de la Pêche Artisanale (CLPA) de Saint-Louis a été constaté dans la nuit du 19 au 20 février 2025 par l’opérateur BP (British Petroleum). Les autorités ont publié un communiqué pour demander à l’opérateur de « limiter les impacts potentiels et de mettre en place une solution rapide et pérenne ». Malgré la fin annoncée de la fuite et un impact environnemental jugé « négligeable », Fama Sarr se pose des questions et redoute ses conséquences néfastes sur l’écosystème marin.

Une angoisse que partage Fadel Wade. Le coordonnateur de la Plateforme nationale des acteurs pour la justice climatique va même plus loin. Le militant de l’environnement s’oppose catégoriquement à l’exploitation des énergies fossiles. Lui qui vient de Bargny, une commune qui subit de plein fouet l’avancée dévastatrice de la mer. « J’ai été au Nigeria, j’ai vu comment l’exploitation des hydrocarbures prive les pêcheurs de leurs ressources et les agriculteurs de leurs terres », s’insurge-t-il. Kome Odhomor, venue du Nigeria et ayant participé aux échanges, ne dit pas le contraire. Elle lutte pour la justice climatique et la souveraineté alimentaire en Afrique et dans le monde à travers son organisation « Health of Mother Earth Foundation (HOMEF) » (Fondation pour la Santé de la Terre Mère). L’activiste ne se braque pas lorsque, parmi les représentants de la rencontre de Dakar, son pays renvoie à l’image de la malédiction de l’or noir.

Selon elle, le Nigeria, qui a foré son premier puits pétrolier (commercial) en 1956, est une illustration parfaite des dérives des compagnies exploitantes. « À Oloibiri (État de Bayelsa), où le premier puits a été foré, il manque presque de tout », déplore Kome Odhomor. Elle pointe du doigt la politique du « forer à tout va » d’une compagnie pétrolière étrangère, avec des pertes « irréparables » pour les communautés locales. Elle dénonce les puits forés puis abandonnés, la pollution massive, le manque d’eau potable et la perte des terres cultivables. D’autres communautés, dans l’État d’Ogoni, risquent de subir le même sort.
Babawale Obayanju, son compatriote, dresse un tableau tout aussi sombre. Il travaille directement avec les communautés du delta du Niger. « L’année dernière, en août, j’ai visité le Saloum au Sénégal. J’y ai vu une vie prospère : une industrie de la pêche florissante, des communautés heureuses », explique-t-il. Faisant la comparaison avec ce que vivent les habitants du delta du Niger, il ajoute : « Des Nigérians ont perdu leurs moyens de subsistance : pêche, agriculture, accès à l’eau potable… Ils sont devenus des réfugiés sur leur propre terre. Le Nigeria doit servir d’avertissement : ne suivez pas cette voie ».
Ces moments de partage d’informations entre militants et activistes de la justice climatique ont été comme un voyage à travers les conséquences désastreuses de l’exploitation des énergies fossiles. La République Démocratique du Congo (RDC), terre fertile au sous-sol gorgé de richesses naturelles, en est un autre exemple frappant. Pascal Kartasi en veut pour preuve la localité de Muanda, située dans l’ouest de la RDC, surnommée « le petit royaume pétrolier ». Sur un ton empreint de désolation, le militant environnemental explique que les populations locales comptent parmi les plus pauvres du pays, bien que la ressource soit exploitée sur leurs terres.
John Lufukaribu Toly, également originaire de RDC, lui emboîte le pas. Selon cet expert en restauration des écosystèmes, des fléaux tels que la corruption, les détournements de fonds et l’insécurité autour des sites d’extraction plongent les communautés dans le désarroi le plus total. « En RDC, il est impossible de traiter la question des ressources naturelles sans aborder l’aspect sécuritaire », souligne-t-il. C’est ce qu’a également mis en avant Eric Mikalano, représentant de l’organisation Initiative Bonne Gouvernance des Ressources Naturelles au Kivu, une région en proie à un conflit armé entre les forces gouvernementales et les groupes rebelles du M23. Eric Mikalano reste convaincu que l’exploitation des énergies fossiles dans son pays est synonyme de pauvreté accrue et d’insécurité grandissante.
Un récit presque identique nous vient de Patricia Odeibia Bekeo, une activiste ghanéenne. À la tête d’une fondation qui traite des questions liées au climat, aux effets du changement climatique sur la santé (en particulier) ainsi qu’à l’autonomisation des femmes, elle est particulièrement marquée par les conséquences de l’exploitation du gaz dans la localité d’Atuabo. Selon son témoignage, les activités gazières provoquent des maladies et créent un climat d’insécurité pour les jeunes filles. « Les torchères des centrales à gaz dégagent une chaleur insupportable qui oblige les habitants à dormir sur la plage. Conséquence directe : une recrudescence des cas de viols et de grossesses précoces », explique-t-elle avec amertume.
Ces militants de la justice climatique entendent bien dompter le narratif selon lequel les Occidentaux, après s’être développés grâce aux énergies fossiles, voudraient maintenant freiner l’élan de développement de l’Afrique. Ils estiment au contraire que le continent doit tracer sa propre voie, un développement respectueux des enjeux environnementaux et soulignent le poids de la colonisation dans le développement des occidentaux.
Comme le rappelle l’ONU, les combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz) sont les plus grands contributeurs au changement climatique mondial, représentant plus de 75 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et près de 90 % de toutes les émissions de dioxyde de carbone.
Plaidoyer pour les énergies renouvelables
En Afrique, particulièrement en Afrique de l’Ouest, le Sénégal est souvent présenté comme un bon élève en matière de transition énergétique. Le pays a déjà dépassé la barre des 30 % d’énergies renouvelables dans son mix énergétique et compte atteindre les 40 % d’ici 2030. Mais c’est loin d’être le cas ailleurs sur le continent. Patricia Odeibia Bekeo, venue du Ghana, pense que son pays peut et doit faire beaucoup mieux dans le domaine des énergies renouvelables. Selon elle, le gouvernement ghanéen prévoit d’augmenter de 10 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2030, un objectif qu’elle juge bien trop modeste.

Maxwell Biganim, également originaire du Ghana, s’active quant à lui dans la promotion des énergies vertes au profit des populations locales. « Il est grand temps de changer le récit sur les énergies fossiles. Elles ne profitent pas aux communautés mais uniquement aux entreprises », martèle le trentenaire engagé. Eric Mikalano, venu de RDC, déplore pour sa part l’absence totale de politique ambitieuse en faveur des énergies renouvelables dans son pays, alors que celui-ci dispose pourtant d’importantes réserves de lithium et de cobalt, des minerais essentiels à la transition énergétique mondiale.
C’est pourquoi, qu’ils soient francophones ou anglophones, ces militants environnementaux parlent aujourd’hui d’une seule voix : un non catégorique aux énergies fossiles, mais un oui enthousiaste aux systèmes énergétiques communautaires et durables. Leur message est clair : l’Afrique a l’opportunité unique de sauter l’étape des énergies polluantes pour se tourner directement vers un avenir plus vert et plus juste pour toutes ses populations.
Pape Ibrahima NDIAYE
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