Le Sénégal a perdu, hier, l’un de ses plus éminents juristes. Mamadou Badio Camara, président du Conseil constitutionnel, s’est éteint à l’âge de 73 ans à Dakar. Sa disparition marque la fin d’un parcours exceptionnel au service de la justice, de la République et de la démocratie sénégalaise. Magistrat rigoureux, homme d’équilibre, figure respectée des institutions, il restera dans les mémoires comme un artisan de la stabilité lors d’un des épisodes politiques les plus critiques de l’histoire contemporaine du Sénégal en 2024.
Mamadou Badio Camara, ce nom restera gravé à jamais dans l’histoire politique du Sénégal. Son rôle déterminant dans la tenue de l’élection présidentielle de 2024 dans un climat tendu marqué par les incertitudes, les polémiques et de fortes pressions sur les institutions républicaines. Le Conseil constitutionnel qu’il dirigeait depuis 2022 a été au centre du jeu institutionnel, garant du respect de la Constitution et du calendrier électoral.
Alors que le président sortant Macky Sall tentait un report controversé du scrutin, initialement prévu pour le 25 février, c’est sous l’égide de Mamadou Badio Camara que la juridiction constitutionnelle a jugé cette décision inconstitutionnelle. Il ouvre ainsi la voie à une élection présidentielle tenue finalement le 24 mars 2024. Une décision saluée par les observateurs, la société civile, les partenaires internationaux et les citoyens sénégalais, soucieux de préserver les acquis démocratiques du pays.
Il avait également validé la candidature de Bassirou Diomaye Faye alors en détention, malgré la dissolution officielle de son parti PASTEF. Ce choix audacieux a permis à l’actuel président de participer à une élection dont il est ressorti vainqueur.
Un engagement calme face aux tempêtes
Au-delà des décisions juridiques, c’est la posture d’homme d’État, sobre et ferme, qui aura marqué. Lors de la Nuit du Droit organisée à Paris, le 3 octobre 2024, Mamadou Badio Camara déclarait avec une sérénité impressionnante : « Il y a eu beaucoup de tensions, beaucoup de pression. C’est peut-être un peu normal. C’est une élection présidentielle et les enjeux sont importants. Les politiques peuvent être féroces avec tous ceux qui peuvent contredire ou contrecarrer leur projet. »
Ses mots, loin des discours guerriers ou partisans, révélaient un homme conscient des responsabilités immenses qui lui incombaient avec une rigueur remarquable.
Une carrière bâtie sur l’exigence et l’intégrité
Né en 1951, Mamadou Badio Camara est issu de la prestigieuse promotion 1977 de l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAM) devenue ENA. À moins de 30 ans, il entrait déjà dans la magistrature d’abord comme Substitut du Procureur à Dakar, avant de gravir patiemment tous les échelons de la justice sénégalaise.
Son parcours est celui d’un serviteur méthodique et respecté. Il devient Procureur adjoint au tribunal régional de Dakar en 1993, Secrétaire général de la Cour de cassation, puis de la Cour suprême, Président de la Chambre criminelle de cette même institution de 2008 à 2013. En 2013, c’est le graal, il devient Président de la Cour suprême du Sénégal avant d’être nommé au Conseil constitutionnel en 2021 puis d’en devenir le président par décret en septembre 2022 en remplacement de Papa Oumar Sakho.
À l’international, l’homme s’est également illustré. Il porta également haut les couleurs du Sénégal : il devient chargé de mission pour l’Organisation internationale de la Francophonie en Haïti (2007-2008), il fut aussi membre élu du comité des Nations unies sur les disparitions forcées à partir de 2011.
Des hommages unanimes
Sa disparition a suscité une vague d’émotion et d’hommages à travers tout le pays. Le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, a exprimé sa « tristesse » et salué « le parcours d’un grand serviteur de l’État » tout en présentant ses condoléances à la famille aux proches et à toute la magistrature sénégalaise.
Alioune Tine, président du think tank Africa Jom Center, a évoqué sur le réseau X le rôle décisif du défunt président du Conseil constitutionnel dans la « sauvegarde de la démocratie et de l’État de droit » en 2024. Pour lui, « le nom de Mamadou Badio Camara est désormais inscrit en lettres d’or dans les annales de l’histoire politique du Sénégal ». Même son de cloche du côté d’Amnesty International Sénégal, par la voix de Seydi Gassama, qui a salué un homme dont les décisions avaient « sauvé la démocratie mise en péril par le régime précédent ».
Le Parti de l’Unité et du Rassemblement (PUR) a présenté également ses condoléances à « toute la nation sénégalaise » tandis que Me Malick Sall, ancien ministre de la Justice, rappelait avec émotion « avoir rarement vu un magistrat aussi loyal que Mamadou Badio Camara. »
Un héritage pour les générations futures
L’image de Mamadou Badio Camara prononçant son discours lors de la prestation de serment du président Bassirou Diomaye Faye, le 2 avril 2024 à Diamniadio restera gravée dans les esprits. Ce jour-là, il avait rappelé au nouveau chef de l’État l’importance de « se souvenir, à l’heure où surgiront les inévitables tentations du pouvoir », de la main de Dieu et du devoir sacré de rester fidèle aux principes de la République. Son message, empreint de foi de prudence et de sagesse sonnait comme un testament. « Vous êtes désormais le garant de la démocratie sénégalaise, du respect des institutions, des droits et libertés, gage de la stabilité de l’État et de l’unité du peuple sénégalais » avait-il déclaré avec fierté devant une foule immense. Aujourd’hui, le Sénégal perd plus qu’un juriste. Il perd un repère moral, un sage, un homme de devoir. Adieu Maitre !
birahim FAYE
le temerair