L’hôpital Principal de Dakar a été, samedi dernier, le théâtre d’une scène de profonde tristesse. Sous un ciel voilé, comme en harmonie avec la douleur collective, des centaines de personnes se sont rassemblées pour rendre un dernier hommage à Me Cheikh Khoureychi Bâ, avocat émérite décédé le 26 mars à Istanbul des suites d’une maladie. À 69 ans, l’homme qui a marqué des décennies de combats judiciaires et politiques s’en est allé, laissant derrière lui un vide immense dans le cœur de ses confrères, de ses protégés et de toute une nation.
Dès les premières heures, l’émotion était palpable. Visages fermés, étreintes silencieuses, regards perdus dans le lointain… La cérémonie de levée du corps a rassemblé une foule hétéroclite : magistrats en toge noire, politiques en costume sobre, religieux en tenue traditionnelle, militants éplorés et anonymes venus saluer celui qui fut, pour beaucoup, « l’avocat du peuple ». Parmi eux, le Premier ministre Ousmane Sonko, représentant le président Bassirou Diomaye Faye, a tenu à honorer la mémoire d’un « homme d’une grande dignité ». « Me Bâ était de ceux qui sont toujours présents pour tout le monde », a déclaré M. Sonko, la voix nouée. « Il a porté nos causes, défendu nos militants dans les moments les plus sombres. Aujourd’hui, c’est toute la nation qui pleure un héros discret mais infatigable. »
Une foule en larmes pour un « défenseur des sans-voix »
Les hommages se sont succédé, chacun dépeignant un homme aux multiples facettes : juriste hors pair, militant des libertés, défenseur des opprimés. Me Ousseynou Fall, l’un de ses plus proches confrères, a décrit un homme « toujours prêt à répondre à l’appel, sans attendre de contrepartie ». « Il incarnait l’avocat dans sa plus pure tradition : compétent, courageux, cultivé, mais surtout humble. Combien de veuves, d’orphelins, de détenus oubliés ont trouvé en lui un rempart contre l’injustice ? »
Le Bâtonnier sortant des avocats, Me Mamadou Seck, a rendu un hommage appuyé à celui qui a mené « plusieurs vies en une ». « Réduire Khoureychi Bâ à ses clients célèbres serait une insulte à son œuvre. Il a fréquenté les prisons surpeuplées, écouté l’étranger en détresse, porté la voix des sans-grades. Son sacerdoce, c’était la justice, rien que la justice. »
Un engagement précoce pour la démocratie
Me Ciré Clédor Ly, autre figure du barreau et compagnon de lutte, a rappelé que Me Bâ s’était engagé très jeune dans les combats pour les libertés. « Il n’y a jamais eu de changement politique majeur au Sénégal sans l’empreinte de Khoureychi Bâ », a-t-il souligné. « Des procès historiques aux batailles pour l’alternance, il était là, souvent dans l’ombre, mais toujours déterminé. »
Il a aussi évoqué sa dimension internationale : « Il a défendu des causes en Afrique, en Europe, sans jamais faire de bruit. Peu savaient qu’il était malade… Il a lutté jusqu’au bout, comme il a toujours fait. »
L’adieu d’une nation
Alors que la dépouille quittait l’hôpital en direction du cimetière de Yoff, un silence lourd de sens a envahi l’assistance. Certains sanglotaient, d’autres murmuraient des prières. Parmi eux, des anonymes comme Aïda Ndiaye, une mère de famille qu’il avait défendue gratuitement : « Il m’a sauvée quand tout le monde m’avait abandonnée. Aujourd’hui, je ne peux que pleurer et dire merci. »
Sous une pluie de prières, le cortège funèbre s’est ébranlé, escorté par une foule en blanc, saluant « le dernier combat de celui qui n’a jamais rendu les armes ».
Un héritage impérissable
Me Cheikh Khoureychi Bâ repose désormais en paix dans le cimetière « Bakiya » de Yoff, mais son héritage, lui, reste bien vivant. Dans les prétoires, les salles d’audience, les combats pour les droits humains, son nom résonnera comme un rappel. La justice n’est pas qu’un métier, c’est une vocation. Comme l’a résumé le Bâtonnier de l’Ordre des avocats sortant, Me Mamadou Seck.: « Il nous a appris qu’on ne naît pas avocat, on le devient par les actes. Aujourd’hui, le meilleur hommage qu’on puisse lui rendre, c’est de marcher dans ses pas. « La nation sénégalaise a perdu un de ses fils les plus brillants, mais son combat, lui, ne mourra jamais.
Birahim Faye