DIFFERENCES REELLES OU SUPPOSEES ENTRE L’ECO ET LE FRANC CFA (XOF)-NOTE EXPLICATIVE

DIFFERENCES REELLES OU SUPPOSEES ENTRE L’ECO ET LE FRANC CFA (XOF)-NOTE EXPLICATIVE

Les questions et réflexions soulevées dans ce papier sont éminemment pertinentes et d’actualités. Je vais donc m’efforcer d’y apporter quelques précisions et réflexions sur les différents projets de monnaie unique ou régionale en Afrique ainsi que les enjeux monétaires et économiques en question.

Avant d’en venir aux questions CFA (XOF)/ECO il faut préciser qu’il existe à l’heure actuelle quatre projets de monnaie nationale ou régionales en Afrique ;

  • Projet de Monnaie Unique Continentale-Projet initié depuis près de 10 ans par l’Association des Banques Centrales Africaines et dont la BCEAO en assume le Secrétariat General. Projet très avancé avec la conception de politiques de convergence économique très élaborées et draconiennes. A mon avis ce projet ne se réalisera pas totalement au vu des obstacles géostratégiques et politiques en Afrique. Je ne vois pas l’Afrique du Sud ni les pays Maghrébins et l’Egypte abandonner leur monnaie nationale pour dépendre d’une banque centrales continentale unique gérée par d’autres africains en majorité des noirs. D’autres contraintes potentielles résident dans le choix des dirigeants et du lieu d’implantation du siège de cette banque continentale. A mon avis c’est un projet utopique.
  • Zone Monnaie Régionale de l’Afrique de l’Est projetée par le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie. Le Rwanda et le Burundi projettent d’y adhérer. Ce projet a beaucoup de chances de réussir car les pays initiateurs concernés avoisinent au total les 80 millions de consommateurs et ont des économies florissantes et très liées. En fait il s’agit de recréer la monnaie unique -l’ancien Shiling si je ne m’abuse- du temps de la période coloniale britannique.
  • Zone Monnaie du Franc ComorienL’Union des  Comores est liée à la France par des types d’accords de coopération monétaire similaires à ceux d’Afrique de l’Ouest et du Centre francophones.  A ma connaissance, et sauf erreur ou omission, ces accords sont toujours en vigueur
  • Zone Monétaire FCFA (XAF) de la Communauté Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC) – Regroupant Cameroun, République Centrafricaine, République du Congo (Brazzaville), Gabon, Guinée Equatoriale et Tchad Il s’agit d’une zone monétaire créée au débit des années 1990 après moult négociations et désaccords. Auparavant il s’agissait d’une zone de Coopération monétaire non intégrée où chaque pays disposait de sa propre monnaie et banque centrale nationale. Leur banque centrale était dénommée Services Centraux car ne s’agissant pas à proprement parler d’une banque centrale émettrice de monnaie commune. Pour le moment rien n’indique que la CEMAC suivra comme à l’accoutumé les initiatives de l’UMOA.
  •  Zone Monétaire ECO de l’Afrique de l’Ouest (ZIMAO) regroupant les pays CEDEAO hors l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA), francophone, à savoir la nôtre qui regroupe 8 pays membres de la CEDEAO. Il s’agit du Nigeria, Ghana, Sierra Leone, Gambie, Guinée Conakry, Liberia. La ZIMOA se considéré comme propriétaire du sigle ECO dont elle conteste l’appropriation par l’UMOA.
  • Zone Escudo du Cap Vert– Il faut savoir que le Cap Vert est lié au Portugal ancien pays colonisateur, par des accords de coopération monétaires similaires aux accords d’antan entre la France et l’UMOA. Ainsi, sauf changement de dernière minute, l’Escudo est échangé à un taux fixe avec l’Euro. Pour le moment le Cap Vert membre tiède de la CEADAO, semble opter pour le statu quo et peu intéressé par les projets monétaires régionaux actuels.
  • Zone ECO (XOF)/CFA et Réformes du Traité de Coopération Monétaire entre la France et l’UMOA depuis le 21 Décembres 2019

Nous en venons à la question qui nous intéresse. Le CFA tel que nous le connaissions n’existe plus que sur papier depuis le 21 Décembre 2019 quand les représentants des 8 chefs d’Etat de l’UEMOA ont paraphé un nouveau Traité de Coopération monétaire avec la France. Ce nouveau traité répond en grande partie aux exigences du Nigeria qui avait posé comme condition de création de l’ECO, de « couper le cordon ombilical avec la France ». En particulier renoncer au taux de change fixe CFA/Euro garanti par la France, au dépôt de 50% de nos devises au Trésor public français, etc . Evidemment la sortie des représentants français des instances de politique monétaire et du Conseil de la BCEAO était également exigée.

Précisons importante : la France est Mandataire de la Zone Euro

A propos des Traités de Coopération monétaire, il faut préciser que la France agit en tant que mandataire de la Zone Euro, et non pour son propre compte exclusivement. Donc tout ce que la France signe, c’est d’ordre et pour le compte de la Zone Euro.

L’UMOA était d’accord sur ces grandes réformes exigées par le Nigéria et les membres de la ZMOA. Toutefois l’UMOA avait posé comme condition préalable la satisfaction de tous les critères de convergences macroéconomiques et budgétaires par tous les membres de la ZMOA.

Or à l’époque aucun de ces pays membres n’avait pu satisfaire un seul de ces critères de convergence. Ils en étaient très loin. L’ancien Président béninois de la Commission de la CEDEAO, feue Marcel De Souza, avait estimé à l’époque, qu’il leur faudrait une dizaine d’années pour effectuer et concrétiser des réformes douloureuses et politiquement socialement déstabilisatrices pour ce faire.

En attendant l’UMOA avait décidé d’adopter la dénomination ECO ainsi que cette monnaie, en lieu et place du Franc FCFA (XOF)[1], dans l’attente de l’arrivée au fur et à mesures des pays ayant satisfait ces préconditions.  Le Nigeria avait immédiatement réagi et dénoncé avec véhémence cette proposition arguant que le terme « ECO » appartenait à la seule CEDEAO.

Toutefois l’UMOA n’avait pas obtempéré à ces menaces du Nigeria et avait immédiatement entrepris d’adopter l’ECO et de procéder par étapes aux réformes monétaires et aux modifications des traités avec la France.

Cela fut fait le 21 Décembre 2019 avec la signature des nouveaux traités avec la France dont les principales clauses, sans être exhaustif, incluent :

  • La fin du compte d’opération au Trésor Public où étaient déposé 50% de nos devises. Ce compte est ainsi est aboli. Cette obligation faisait l’objet de beaucoup de critiques et de dénonciation des macro-économistes et autres experts financiers et monétaires dans les milieux de Bretton Woods et autres institutions internationales d’aide au développent économique,;
  • La fin de la présence des représentants français au sein des instances de l’UMOA ;
  • L’adoption prochaine de l’ECO en remplacement du franc CFA(XOF) ;
  • Le maintien provisoirement du taux de change fixe EURO/CFA ;
  • L’ouverture d’une facilité de devises EURO pour remplacer le compte d’opération et permettre à la BCEAO de pouvoir disposer de devises rapidement en cas d’urgences comme auparavant avec le compte d’opération. Il semble que des garanties spéciales et secrètes aient été prévues car il s’agit d’un découvert bancaire. Le recours à cette facilité se fera comme du temps du compte d’opération. Il se fera seulement lorsque le taux de couverture de la monnaie (CFA ou ECO) par les réservés en devises de la BCEAO sera égal ou inférieur à 20%.

Pour le moment la balle est dans le camp de l’UMOA pour adopter l’ECO/XOF sans attendre le Nigeria et compagnie. Il s’agit maintenant de savoir si le taux de change fixe Euro/CFA (XOF) resterait en vigueur ou serait-t-il remplacé plus probablement par un taux de change flexible sur la base d’un panier de devises à définir[2].

A noter qu’aujourd hui les pays de l’UMOA ont atteint pour la plupart les ratios de convergence économique les plus importants et certains n’en sont pas loin. Donc toutes les conditions sont réunies pour une transition sans problème ver la nouvelle monnaie commune ECO, version UMOA.

Rappelons que ces ratios de convergence sont pratiquement à quelques exceptions près, les mêmes que celles imposées aux pays membres de la Zone Euro et celles préconisées par le FMI et la Banque Mondiale. Les plus importants sont

  • Déficit budgétaire égal ou inférieur à 3% du Produit Intérieur Brut (PIB)
  • Taux d’inflation inférieur à 3%
  • Taux d’endettement inférieurs à 70% du PIB
  • Etc.

Le panier de devises probable et ses conséquences

Il faut distinguer les différents types de taux de change en vogue dans le monde. Pour les devises fortes (US$, Euro, Livre Sterling, Dollar Canadien, etc.) elles fluctuent et flottent librement au grès des fluctuations des marchés financiers et monétaires internationaux.

Dans le cas des pays moins avancés ou d’autres par choix les taux de change flexibles sont adoptés Dans ces cas le taux est fixé par rapport à un panier de devises fortes.

Les composantes en devises du panier sont sélectionnées proportionnellement en fonction des

  • Revenus d’exportations
  • Transferts des migrants
  • Revenus nets du tourisme
  • Revenus d’intérêts et autres dividendes sur investissements et placements extérieurs

Sur cette base on sélectionne les devises les plus présentes. Par exemple pour le Sénégal j’avais en son temps déterminé, sur la base des données statistiques disponibles, que l’Euro représentait 70% de nos revenus en devises et le Dollar US 30%. Grosso-modo En notant que beaucoup de pays comme la Chine, la Turquie, l’Inde, l’Iran, et autres, nous facturent ou nous payent en US dollars en lieu et place de leurs monnaies nationales généralement non convertibles, sauf erreur ou omission de ma part. Il s’agit ici d’un sujet complexe que seuls des spécialistes disposant de données fiables peuvent définir et déterminer la composition d’un panier de devises.

A ce propos la BCEAO est très outillée et dispose depuis longtemps d’une salle de marché pour ses transactions en devises. La BCEAO est donc prête pour gérer un ECO à taux flexible.

Pour ma part j’avais adopté exclusivement pour le Sénégal, un panier composé à 70% d’EURO et 30% US$. Si je devais tenir compte des autres pays UMOA deux approches étaient possibles. Soit se baser sur les données nationales et arriver à un panier plus représentatif. Ou à défaut se baser sur les statistiques de la BCEAO au niveau régional. Certains pays pourraient contester le panier adapté et il faudra des négociations pour accorder tout le monde.

Une fois le panier adopté et mis en exécution le taux de l’ECO va varier quotidiennement en fonction des fluctuations des devises composant le panier, à savoir dans mon hypothèse de travail l’EURO et le Dollar US.

Transition vers l’ECO/UMOA et les nouveaux de banque

Ce sera une transition en douceur car les institutions monétaires (BCEAO, Commission Bancaire, etc.), la réglementation bancaire, la réglementation prudentielle, resteront les mêmes. Toutefois la politique monétaire, notamment les taux d’intérêt, pourrait évoluer au vu de l’utilisation du panier de devises.

Les entreprises, le secteur informel et les particuliers devront s’adapter et s’accommoder d’une monnaie non convertible à taux fixe comme de par le passé.

Il y ‘aura un changement des billets de banque CFA remplacés par des billets ECO. Ce qui va causer des problèmes à ceux qui thésaurisent des trésors cachés en billet CFA. Lors des opérations d’échanges de billets ils devront, justifier les sommes à échanger. Pour la monnaie scripturale il n’y aura aucun effet sauf erreur de ma part.

Les effets économiques se feront sentir rapidement avec une montée probable de l’inflation des prix. Les investisseurs étrangers deviendront frileux durant la période de transition. Le remboursement de la dette extérieur sera plus compliqué. La dévaluation monétaire sera évidemment implicite et quotidienne avec l’utilisation du panier de devises. Il se pourrait aussi que la nouvelle monnaie se valorise davantage par rapport au défunt FCFA. Question compliquée laissée à l’appréciation des macroéconomistes.

Fait à Dakar le 15 Décembre 2024 par

Mohamadou Diop

ancien Administrateur DG BIAO-Sénégal et ancien Représentât Régionale Afrique Centrale Société Financière Internationale (SFI Groupe Banque Mondiale


[1] A ne pas confondre avec le Franc CFA (XAF) de la Communauté des Etats d’Afrique Centrale (CEMAC)

[2] POUR PLUS DE  DETAILS ET EXPLICATIONS  SUR TOU CE QUI PRECEDE IL FAUT SE REFERER A MON OUVRAGE «DES FRANNCS CFA- DE LA BANQUE DU SENEGAL A LA BIAO-SENEGAL » EDITE CHEZ HARMATHAAN SENEGAL

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