ÉTAT CIVIL: LA DIGITALISATION COMME SOLUTION

ÉTAT CIVIL: LA DIGITALISATION COMME SOLUTION

L’interpellation récente d’un ancien international de football et de ses complices dans une affaire de fraude sur l’état civil dépasse le simple fait divers. Elle remet au premier plan la problématique structurelle de la gestion de l’état civil au Sénégal. Pendant des décennies, ce secteur stratégique a souffert de graves dysfonctionnements, malgré son importance dans l’accès aux droits fondamentaux. Le lancement du projet national de modernisation et de numérisation de l’état civil ouvre aujourd’hui de nouvelles perspectives. Mais suffira-t-il à résoudre définitivement les dérives constatées ?

Une situation préoccupante : des milliers d’enfants sans identité
Selon les chiffres officiels, près de 409 789 élèves des cycles préscolaire et élémentaire ne disposent pas d’acte de naissance.
Conséquence : ces enfants se trouvent privés de droits essentiels tels que l’éducation, la santé, la protection sociale ou encore la participation à la vie citoyenne.

Les causes de cette absence d’enregistrement sont multiples :

Naissances hors structures de santé,

Ignorance des parents,

Négligence,

Délais légaux dépassés,

Accès limité aux centres d’état civil,

Coûts des audiences foraines ou jugements supplétifs.

Un système longtemps laissé à l’abandon
Pendant des années, l’état civil a été géré dans un laxisme quasi institutionnalisé.

Personnel non qualifié ou bénévole
La plupart des agents relevaient de quotas politiques ou travaillaient sans formation appropriée. L’État n’a jamais véritablement encadré ou professionnalisé ce secteur pourtant vital.

Absence de protection des documents
Les registres ont été exposés aux vols, aux incendies, aux intempéries et aux destructions accidentelles.
Dans certains centres, des cachets et registres ont été volés, des signatures falsifiées, ouvrant la voie à toutes sortes de trafics.

Trafics organisés
Des agents peu scrupuleux ont profité du vide pour vendre des actes, manipuler les registres ou fabriquer des extraits fictifs.

Fraude à l’identité : deux dérives majeures
La crise de l’état civil génère deux phénomènes graves :

  1. Enfants sans déclaration à la naissance
    Ils grandissent sans identité légale. Le jour où ils ont besoin d’un acte, certains se voient attribuer un document fictif ou un numéro emprunté à une autre personne.
  2. Fraudes liées au sport, notamment au football
    Certains jeunes footballeurs, se jugeant trop âgés pour tenter une carrière en Europe, cherchent à réduire artificiellement leur âge.
    Ils se font alors établir de nouveaux actes, souvent falsifiés ou usurpés.

Dans les deux cas, les familles sont parfois piégées par des agents malhonnêtes.

Les limites des anciens mécanismes : jugements et audiences foraines
Les séances foraines et jugements supplétifs, censés régulariser les situations, se sont révélés :

Coûteux,

Lents,

Insuffisamment efficaces,

Incapables de résorber le stock énorme d’enfants non déclarés.

Une réponse nouvelle : la modernisation et la digitalisation
Pour remédier à ces dysfonctionnements, l’État du Sénégal, avec le soutien de l’Union européenne, a lancé un vaste programme de modernisation comprenant :

Mesures clés
Numérisation de plus de 19 millions d’actes d’état civil,

Construction de centres modernes,

Équipement de 26 centres modèles,

Formation de 3 000 agents d’état civil et 600 archivistes,

Gratuité totale des déclarations de naissance, décès, mariage et divorce.

Objectifs
Sécuriser les données,

Éviter les falsifications,

Faciliter l’accès des populations rurales,

Mettre fin au trafic de documents,

Offrir un système fiable et pérenne.

Plusieurs ONG et associations accompagnent également les familles pour régulariser la situation administrative de leurs enfants.

Pour une approche inclusive : impliquer toute la société
Pour assurer le succès durable de la réforme, il serait pertinent d’intégrer des acteurs issus de divers horizons :

Artistes et acteurs culturels,

Communicateurs traditionnels,

Imams et leaders religieux,

Délégués de quartier,

Bajenu gox,

Associations communautaires.

Une réforme aussi sensible nécessite une approche participative, enracinée dans les réalités sociales et culturelles du pays.

La digitalisation de l’état civil représente une étape déterminante dans la sécurisation de l’identité des citoyens et la lutte contre les falsifications.
Mais pour qu’elle réussisse pleinement, elle doit s’appuyer sur une mobilisation collective, dépasser les simples infrastructures techniques et intégrer les acteurs de terrain.

L’état civil n’est pas seulement un service administratif : c’est la porte d’entrée à l’existence légale.
Le Sénégal ne peut se permettre de laisser encore des milliers d’enfants grandir sans identité.

Mamadou Kassé

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