12 décembre 1962 : le jour où tout a basculé entre Senghor et Mamadou Dia — L’histoire est-elle en train de se rejouer avec Sonko et Diomaye ?

12 décembre 1962 : le jour où tout a basculé entre Senghor et Mamadou Dia — L’histoire est-elle en train de se rejouer avec Sonko et Diomaye ?

La politique sénégalaise semble enfermée dans une boucle temporelle où les mêmes tensions se rejouent sous d’autres visages. Plus de soixante ans après la fracture historique entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia, un nouveau duo au sommet de l’État semble raviver le spectre d’un passé douloureux. Le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko, unis hier dans la conquête du pouvoir, paraissent désormais séparés par des lignes de fracture que tout le pays observe avec inquiétude. Le Sénégal, auréolé de son image de démocratie stable, serait-il condamné à revivre les mêmes conflits d’ego au détriment de sa stabilité institutionnelle ?

Décembre 1962. Le Sénégal, jeune République indépendante depuis deux ans, vit une crise sans précédent. Mamadou Dia, président du Conseil, incarne une vision rigoureuse et socialiste de la gouvernance : moralisation de la vie publique, planification économique, refus du clientélisme politique. En face, Léopold Sédar Senghor, poète et président de la République, prône une approche plus libérale et diplomatique du pouvoir, soucieux de préserver l’équilibre fragile d’un État encore en construction.

1962, le choc fondateur

Les désaccords institutionnels se transforment rapidement en affrontement politique. Accusé de tentative de coup d’État, Dia est arrêté, jugé et emprisonné. Le 12 décembre 1962 marque la fin du régime parlementaire bicéphale et la naissance d’un hyperprésidentialisme à la sénégalaise. Senghor en sort renforcé, tandis que Dia, effacé des institutions, reste dans la mémoire nationale comme le symbole d’une intégrité brisée. Cet épisode fondateur hante encore la vie politique du pays. Car il révèle une constante : au Sénégal, les crises les plus profondes sont souvent nées de rivalités entre deux têtes fortes partageant un même idéal, mais refusant de se soumettre l’une à l’autre.

2025, un tandem sous tension

Plus de six décennies plus tard, le Sénégal revit, sous d’autres formes, la complexité du pouvoir à deux têtes. Le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko sont issus du même mouvement politique, le PASTEF, forgé dans la contestation et le combat contre l’ancien régime. Ensemble, ils ont bâti une promesse : celle de la rupture, de la refondation morale et institutionnelle du pays.

Mais à peine quelques mois après leur accession au pouvoir, les fissures se font visibles. Diomaye Faye, méthodique et pondéré, prône le dialogue, la réforme par étapes, la consolidation des institutions. Ousmane Sonko, figure de proue du changement radical, conserve son ton combatif et ses accents de tribun populaire. Deux approches, deux tempéraments, deux visions du tempo politique. « Quand j’ai proposé Diomaye Faye comme candidat à la présidentielle, je savais que nous ne sommes pas d’accord sur tout », a récemment reconnu Ousmane Sonko lors d’un meeting. Cette phrase, anodine en apparence, révèle une vérité profonde : l’union Diomaye-Sonko repose autant sur la loyauté que sur la tension.

Les ombres de l’histoire

Nombre d’analystes, dont Yoro Dia, n’ont pas manqué d’établir un parallèle entre le duo actuel et celui de 1962. Les similitudes existent. Deux hommes forts, unis par une cause commune, mais séparés par la manière de l’incarner. Comme Mamadou Dia, Sonko incarne une ligne idéologique tranchée, soutenue par une base militante fervente. Comme Senghor, Diomaye semble préférer l’équilibre, la diplomatie, la continuité institutionnelle. Mais la comparaison trouve vite ses limites. L’ancien ministre Mamadou Diop Decroix, figure historique du mouvement de gauche, s’est empressé de nuancer. « On ne peut pas comparer ces deux binômes. À l’époque, Senghor était président du parti et Mamadou Dia, président du Conseil. Aujourd’hui, c’est Sonko le chef du parti et Diomaye, son ancien secrétaire général, qui est président de la République. Leur rapport est différent, forgé dans la camaraderie et les épreuves communes, notamment la prison », dit-il. La distinction est de taille. En 1962, la querelle portait sur la structure même de l’État. En 2025, elle semble davantage liée à la direction politique du projet Pastef au pouvoir, à la gestion du parti, à la place de chacun dans la stratégie nationale.

Le pouvoir qui arrête le pouvoir

L’un des paradoxes du tandem Diomaye-Sonko réside dans leur histoire commune. Lorsque Sonko, empêché de concourir à la présidentielle de 2024, propose Diomaye Faye comme candidat de substitution, il choisit un homme de confiance, loyal, compétent, mais connu pour son indépendance d’esprit. Dans les réunions du parti, Diomaye a souvent été le contrepoids idéologique de Sonko, son contradicteur lucide. En accédant à la présidence, Diomaye Faye n’est plus seulement le compagnon de route du leader du Pastef. Il est devenu l’incarnation de l’État, avec tout ce que cela implique en termes de responsabilité et de distance politique. Dès lors, la tension devient presque inévitable. Certains observateurs parlent d’une « guerre froide institutionnelle » causée par des divergences sur la réforme de la justice, désaccords sur la nomination de la présidente de la coalition au pouvoir, différences de ton dans les discours publics. Rien de spectaculaire, mais assez pour nourrir l’inquiétude d’une opinion publique déjà polarisée.

Decroix plaide pour la cohésion

Pour Mamadou Diop Decroix, la priorité est claire : préserver l’unité du duo présidentiel. « Sonko et Diomaye doivent consolider leur compagnonnage pour le bien du pays. C’est l’intérêt du pouvoir, de l’opposition et même de ceux qui ne font pas de politique. Une rupture entre eux risquerait de plonger le pays dans l’instabilité. » Son appel n’est pas anodin. Le contexte sécuritaire régional, marqué par la progression des groupes armés dans le Sahel, exige une cohésion nationale sans faille. « Regardez le Mali, où le JNIM sème la terreur jusqu’à nos frontières », alerte-t-il. Dans ce climat d’incertitude, une crise politique interne serait un luxe dangereux.

Vice rédhibitoire ou chance pour le Sénégal ?

Les divergences entre Diomaye et Sonko peuvent-elles devenir un atout ? Certains y voient une dynamique salutaire. « Le pouvoir qui arrête le pouvoir », selon l’expression de plusieurs cadres du Pastef. Une manière d’équilibrer l’autorité présidentielle par une vigilance interne, garantissant une gouvernance moins centralisée.

Mais cette contradiction ne sera bénéfique que si elle reste institutionnelle et non personnelle. Car au-delà du Pastef, c’est tout un pays qui observe, inquiet. La jeunesse sénégalaise, qui a massivement voté pour la coalition au pouvoir, perçoit toute dissension comme une menace pour l’espoir qu’elle a placé en ce duo. Beaucoup rappellent que sans Sonko, Diomaye ne serait pas président et que sans Diomaye, Sonko ne serait pas revenu au cœur du pouvoir. Leur légitimité est indissociable.

Si Diomaye et Sonko veulent incarner la rupture qu’ils ont promise, ils doivent démontrer qu’une divergence peut être gérée dans le respect, la transparence et la loyauté réciproque. Ils ont l’opportunité historique de prouver que la maturité démocratique du Sénégal dépasse les rivalités d’ego.

L’histoire ne se répète pas toujours, mais elle insiste. Le 12 décembre 1962 a rappelé à quel point les désaccords au sommet peuvent redessiner durablement le destin d’un pays. En 2025, Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko tiennent entre leurs mains non seulement le pouvoir, mais aussi la possibilité de réinventer la manière de le partager. S’ils parviennent à dépasser leurs différences, à faire primer le projet collectif sur les susceptibilités individuelles, alors le Sénégal pourra tourner définitivement la page du syndrome de 1962.

El FAYE

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